Le Prince Que Voilà
brillant, tu ris ? Tu as raison de rire. Mon gai
médecin, quelle gaie nouvelle tu m’apportes ! cria-t-il, et ôtant tout
soudain son bonnet fourré, comme s’il était incommodé de sa chaleur, il se jeta
sur son fauteuil avec la pétulance d’un enfant, et dit :
— Siorac ! Viens
t’asseoir, là ! Sur cette escabelle ! À ma dextre ! Conte-moi le
tout, dans le menu et l’archimenu ! Que mon oreille s’en rassasie !
Laquelle est désaccoutumée à ouïr les victoires.
J’obéis tout de gob, du mieux que je
pus, mais à vrai dire, ce mieux n’était point médiocre (que le lecteur me
pardonne ce mouvement de vanité) pour ce que j’avais en ma tête labouré ce
récit depuis la veille, y occupant tout le loisir de ma longue chevauchée
(Alizon se plaignant fort de mon accoisement) sachant bien que le Roi voulait
que les contes qu’on lui fît fussent vifs même en ces temps où son trône
branlait si fort que le plus fol financier n’eût pas gagé un sol sur sa
maintenance.
— Mon Siorac ! dit le Roi
quand j’eus fini, voilà qui fut bien pensé, bien fait, et au surplus, bien
dit ! Ce dont je te loue fort. Ce n’est pas parce que Pibrac est mort et
Ronsard mourant que le bien-dire doit mourir aussi, remplacé par le baragouin
des prêchereaux ligueux.
— Mais, Sire, dit Du Halde à
qui tous les traits, étirés en longueur, donnaient une austérité de face qu’on
encontrait peu chez les courtisans papistes, c’est ne pas gagner prou que de
point perdre ville !
— Ha, rabat-joie ! dit
Henri, il ne faut point bouder le bon, quand il vient. Il en vient si
peu ! En outre, la faillite de la Ligue en Boulogne et Marseille.
— Sais-tu, Siorac, que nos bons
ligueux ont failli à Marseille ? – écorne la légende de son
invincibilité et arrête un temps les trahisons ! Mais, Chicot, tu ne dis
rien ?
— Sire, je n’ai rien à dire.
— Quoi ? Pas la moindre
gausserie ? La Ligue m’a-t-elle ôté aussi l’esprit de mon bouffon ?
— Henri, dit enfin Chicot, la
goutte au bout de son long nez. Les traîtres dont tu parles me pèsent sur
l’estomac ! Je les voudrais raquer avec ma bile. Ou bien chier avec mon
bren.
— Ha ! dit le Roi,
qu’importe que je sois entouré d’ingrats, si l’infection ne m’a pas gagné. Mais
ma gratitude, à moi, garde le teint frais et le poil dru. Holà ! Du
Halde ! poursuivit-il en riant, j’y pense enfin : appelle incontinent
le barbier qu’il me tonde le pré de la joue ! Siorac, mon fils, tu m’as
bien servi, et loyalement. Je m’en ramentevrai.
— Moi et le capitaine Le
Pierre, Sire.
— Si crois-je que je ne
l’oublierai point non plus.
— Hélas ! Sire ! dit
Du Halde, pour un Siorac ou un Le Pierre, combien de Montcassin (lequel
Montcassin, que le Roi avait dépêché à Metz avec des gens de guerre et des
écus, s’était allé avec lesdits écus et lesdits gens de guerre donner au Duc de
Guise en Châlons-sur-Marne, raccourcissant d’autant son voyage).
— Montcassin, dit le Roi, avec
une expression d’infini déprisement passant dans ses beaux yeux noirs, n’est
que petite souris comparé à ce gros rat qui me grignote mon royaume ville après
ville. Ha ! Du Halde ! Du Halde ! Je vois bien que si je laisse
faire ces gens-ci, je les aurai à la fin comme maîtres et non comme
compagnons ! Il est bien temps d’y mettre bon ordre !
— Alors, Sire, m’écriai-je,
fort enflammé. Convoquez le ban et l’arrière-ban de votre noblesse !
Montons à cheval et courons sus au Duc félon !
— Sulphurin Siorac ! dit
le Roi avec un pâle sourire, vais-je donc jeter un brandon dans la gorge du
Guise ?
— Oui-dà, Sire !
— Et jouer le royaume sur le
coup de dés d’une bataille ? Et commencer une guerre civile ? dit
Henri, envisageant le vide devant lui d’un air grave. Laquelle guerre ne
profite qu’aux financiers, aux maquignons de chevaux, aux quincailliers et
marchands d’armes, et ne ferait que remplir le royaume de forces étrangères, de
partialités, de discordes éternelles, de meurtres et de brigandages infinis,
alors que le pauvre laboureur reprend à peine haleine après l’ahan des troubles
passés ?
— Mais Henri, dit Chicot, si on
ne met pas un chat à la queue de ce rat, il va poursuivre son grignotage, et en
Paris même.
— C’est fait ! J’y ois sa
dent ! Et je vois les trous qu’il y fait ! Raison de plus pour non
pas aller guerroyer loin
Weitere Kostenlose Bücher