Le Prince Que Voilà
si, dis-je, le nœud de la
gorge me serrant, si je courais à Londres et quérais l’audience de la
Reine ?
— Vous devriez passer par
Walsingham, lequel ayant enquêté sur vous et appris que vous étiez le
beau-frère de M lle de Montcalm, ne donnera pas suite.
Je me tus derechef, l’œil baissé,
mâchellant ces amères et infinies déconvenues, voyant se dresser comme un mur
devant moi, et derrière ce mur quasiment oyant les plaintes de la captive,
laquelle risquait, soit de le demeurer pendant d’interminables années, soit de
périr sur l’échafaud dans les supplices réservés aux traîtres, lesquels,
d’après ce que j’ai ouï dire, si cruels que soient les nôtres, sont encore pis
en Angleterre. Cependant, mes yeux s’accoutumant à la pénombre de la coche, je
surpris, relevant la paupière, un regard de la dame d’atour à my Lady Stafford,
lequel était si parlant et si connivent qu’il me donna à penser qu’on ne
m’avait tant désespéré que pour m’amener par pente insensible à faire ce qu’on
voulait. Ha, m’apensai-je, ces Anglaises avec leurs beaux yeux clairs et leurs
voix musicales, sont plus profondes qu’il n’apparaît de prime. Je gage que my
Lady Stafford, haute et belle dame qu’elle soit, est tout aussi politique et
accointée des affaires de l’État que son mari l’ambassadeur, et que la dame
d’atour, de son côtel, n’est pas que d’atours occupée. Je jurerais qu’il y a là
quelque barguin à demi-mot qu’on veut passer avec moi, et qui doit servir mes
affaires tout en servant celles de la Reine d’Angleterre. C’est à voir !
m’apensai-je. Si cela ne doit point aller à l’encontre des intérêts de mon
maître, mais le servir lui aussi en quelque guise, pourquoi non ?
— Madame, dis-je en tournant le
col vers my Lady Stafford et en l’envisageant œil à œil, le sien étant pers et
fort beau, conseillez-moi en ce prédicament. Je vous obéirai, sachant bien que,
me connaissant, vous ne voudrez m’aviser au rebours du service du Roi.
— Je n’y rêve assurément pas,
dit my Lady Stafford, en s’exprimant cette fois en français, son accent
ajoutant à son sourire un charme de plus. Ce serait chose fort contraire à mon
estomac. Mais mon avis a quelque rapport avec votre Roi, comme votre française
finesse a su le discerner. Nous savons, Monsieur le Chevalier, que votre maître
va dépêcher à notre Reine un ambassadeur extraordinaire en la personne de M.
Pomponne de Bellièvre, pour plaider la cause de Mary Stuart et tâcher de prévenir
sa condamnation à mort. Peux-je quérir de vous ce que le Roi pense de ce
Pomponne ?
— My Lady, dis-je avec quelque
froidure, vous quérez de moi des informations sur le gouvernement de ce
royaume, lesquelles je ne peux en honneur vous donner, si peu que j’aime ce
Pomponne-là.
— Monsieur, dit-elle en posant
derechef sa main sur mon avant-bras, et en appuyant son épaule contre la
mienne, son long col se penchant gracieusement sur son épaule pour m’envisager
de plus près, Monsieur, votre point d’honneur est trop délicat. Vous vous
piquez trop vite. Plaise à vous de me laisser reprendre mes cartes et de les
jouer en tenant compte de votre sensitivité.
Je souris à ce joli mot qui me parut
toutefois plus anglais que français, et je dis :
— Plaise à vous, my Lady.
— Monsieur, poursuivit-elle en
son français flûté et chantant, je vais mettre mes cartes sur la table et les
retourner. Monsieur, je crois que votre Roi n’aime pas M. Pomponne de
Bellièvre ; qu’il se gausse de sa balourde éloquence et l’appelle « le
Pompeux Pomponne » ; qu’il le tient pour une créature de sa mère, et
a peu fiance en lui, le croyant ligueux en son for. Monsieur, mes cartes
sont-elles bonnes ?
— Autant que j’en puis
connaître, oui.
— Je crois aussi, dit my Lady
Stafford, que le Roi ne peut qu’il n’envoie M. de Bellièvre à Londres, primo : pour ce que Mary Stuart fut sa belle-sœur. Secundo : pour ce que la
Ligue crierait comme folle à ses chausses s’il ne le faisait pas. Mais que
toutefois…
My Lady Stafford s’interrompit, me
serra l’avant-bras avec force, et attachant sur moi ses yeux bleu-vert,
reprit :
— Mais, que toutefois, si Mary
Stuart venait à être condamnée et exécutée, le Roi de France ne prendrait
aucune initiative d’aucune sorte pour la sauver.
Ha ! m’apensai-je en baissant
mes paupières et en laissant peser un long
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