Le Prince Que Voilà
qui se trouvaient
là, je ne vis rien que je n’y avais vu la veille. Ce qui, fort étrangement, ne
manqua pas que de me décevoir, alors même que j’étais fort résolu, pour la
raison que j’ai dite, de ne rien accepter des mains de Sa Gracieuse Majesté. Un
feu brûlait à haute et claire flamme dans la cheminée, et apercevant dans le
miroir qui la surmontait, une dame dont je ne pouvais voir la face, pour ce
qu’elle avait en main un de ces petits ventaux en demi-lune façonnés en osier
qu’en Paris on nomme une « Contenance » et que les personnes
du sexe sont accoutumées à tenir devant leur visage quand elles se chauffent,
afin que le feu ne leur gâte pas le teint et ne fasse pas couler leurs fards,
je crus reconnaître ma belle Lady T à ses blonds cheveux et aussi à sa
vêture, laquelle était de satin bleu pâle brodé d’or. Doutant alors s’il valait
mieux que je me retirasse sans noise pour non point controubler la rêverie de
mon hôtesse, ou bien le rebours, m’approcher pour lui présenter mes devoirs, je
restai en suspens un petit, et j’allais à la parfin retracer mes pas vers la
porte quand la dame, abaissant sa contenance, m’aperçut dans le miroir,
poussa un grand cri et se levant comme folle, se rua à moi et me jeta les bras
autour du cou :
— Ha ! m’écriai-je, ma
voix en mon gargamel s’étranglant, Larissa !
Je n’en pus dire davantage, pour ce
qu’elle me donnait une brassée tant forte et me couvrait la face de tant de
poutounes, et moi-même répondais, éperdu, à ses furieuses effusions, d’autant
que se mêlait à mon immense liesse de la retrouver saine et libre, son étrange
ressemblance avec mon Angelina, non point seulement de traits, de cheveu, de
charnure, de taille, mais de peau, laquelle était comme celle de mon adorée,
fine, suave et parfumée, mon cœur cependant de gratitude gonflé pour la
féminine subtilesse et delicatezza de la Reine Elizabeth qui ne résidait
point seulement dans la liberté qu’elle baillait à Larissa, mais dans la
manière dont Sa Majesté m’en avait fait la surprise, alors même que j’en
désespérais.
Ha ! lecteur, rien ne
s’additionne et ne se multiplie si merveilleusement que les joies, pour ce que
la prime et essentielle tire d’autres après soi, comme bien ce fut le cas, car
à peine le bonheur de revoir après tant de mois ma sœur bien-aimée s’épanouit
en moi, que tout soudain s’ouvrirent comme concomitantes fleurs, et la pensée
d’ôter son plus rongeant souci à mon Angelina, et le propos de ramener à mon
Giacomi la dame de sa dilection.
M. de Bellièvre, à ce qu’il me dit,
entendait rester à Londres jusqu’à la condamnation de Mary Stuart pour tâcher à
nouveau de fléchir la Reine, mais moi sachant bien en mon for qu’après ma
secrète ambassade, il n’avait guère plus de chance de réussir que s’il eût attenté
de coiffer les cornes de la lune, je quis de l’ambassadeur de repartir en
France sans attendre l’issue de ce procès (qui menaçait d’être fort long, étant
donné l’attachement des Anglais aux formes et formalités de la loi) arguant que
la Reine Elizabeth parlant le français si bien, mon truchement en cette seconde
audience n’était point nécessaire. Le pompeux Pomponne, de son côtel, n’était
point fâché de ma requête, ayant eu vent, je gage, par un certain ligueux
gentilhomme, qui entendait bien l’anglais, des adoucissements et des
atténuations que ma translation avait introduits en sa harangue, tant est qu’il
m’accorda mon congé tout de gob, s’apensant que ledit gentilhomme, dans les
occasions, interpréterait son dire plus fidèlement que moi.
On se quitta néanmoins avec quelques
grimaces d’amitié qui, de son côté du moins, sentaient bien un peu l’aspic et
le venin, mais enveloppés de son vernis de cour et de sa coutumière verbosité.
Et Lady T étant bénigne assez pour me vouloir accompagner jusqu’à Douvres
en sa coche et une forte escorte (les chemins anglais n’étant pas plus sûrs que
les nôtres, et en outre, coupés de continuels péages, n’y ayant petit seigneur
dont ces chemins traversent les terres, qui ne nous arrêtât pour tirer de nous
quelques pécunes, sous le faux prétexte des frais et débours qu’il souffrait
pour les entretenir). My Lady T me voulut voir embarquer à Douvres avec
Larissa avant que de me quitter, ce qui ne se fit pas de son côtel comme du
mien sans quelque
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