Le Prince Que Voilà
s’il ne se
ramentevait plus que le Guise ne savait pas le latin. Or, mon cousin, nous
avons à garder l’esprit clair pour débattre de nos affaires, celles-ci étant de
si grande conséquence pour l’avenir de ce malheureux royaume, lequel est si
fort déchiré sur le sujet de la religion.
— Hélas, Sire, dit le Duc en
joignant les deux mains devant soi avec componction ! À Dieu plaise que
tous les conseillers de Votre Majesté fussent aussi zélés pour la défense de la
Sainte Église Catholique que je le suis.
— Ou que je le suis moi-même,
dit le Roi non sans un soupçon de hautesse, car vous ne pouvez douter que je
sois fort résolu à ne souffrir autre religion en mon royaume que la catholique.
Mais, mon cousin, il y faut de la prudence. Vous n’ignorez pas que se rassemble
sur nos frontières une grande armée étrangère, laquelle, si nous reprenions les
armes contre le Roi de Navarre, ne faillirait pas à nous envahir, dévastant nos
provinces, causant des maux sans nombre et foulant durement le pauvre peuple.
Tel étant le triste état de nos affaires, et la nécessité nous mettant le cotel
à la gorge, ne nous requiert-elle pas d’acheter plutôt une bonne paix qu’une
guerre aussi hasardeuse ?
— Ah ! Sire ! s’écria
le Duc, je ne le cuide pas ainsi ! Je n’accepterai de paix qu’elle ne nous
donne l’assurance que la foi de nos pères est sauve ! Or, Sire, je vous
supplie de jeter les yeux sur la religion mourante et d’embrasser à plein cœur
sa conservation, sans estimer rien de trop difficile ni de trop périlleux pour
atteindre à cette noble fin. Sire, poursuivit-il, votre peuple n’a jamais
redouté autre chose que la chute du ciel. Et il est bien assuré que sous
l’étendard du Seigneur, il pourra dompter tous ses ennemis sur terre.
Que ce langage chattemitique –
qui couvrait la cruelle ambition du Duc félon sous le manteau et couvert de la
religion – donnât la nausée au Roi, je le crois, pour ce que détournant la
tête, et la lèvre supérieure tiraillée d’un tic qu’il ne pouvait maîtriser tout
à plein, il se mit à marcher qui-cy qui-là dans la pièce, les mains derrière le
dos.
— Mon cousin, dit-il à la
parfin en s’arrêtant devant le Duc de Guise, vous êtes-vous avisé que la paix
ne profite point aux huguenots, pour ce qu’alors nous gagnons sur eux pour
l’intérêt qu’ils ont à se faire, ou refaire catholiques, soit pour avoir des
places, soit pour avancer leurs affaires, soit pour marier les personnes du
sexe, y ayant en ce royaume tant plus de femmes de l’Église romaine que de
l’Église réformée. Assurément, il faut du temps à cette reconquête, mais elle se
fait par les moyens doux et la persuasion, tandis que par le couteau, nous
façonnons des martyrs dont le sang nourrit et multiplie leur Église. La
persécution contre ceux de la nouvelle opinion a commencé sous mon grand-père,
s’est continuée sous mon père, et poursuivie sous mon frère Charles IX.
Moi-même en ai été le glaive à Moncontour, à Jarnac, à La Rochelle. Et
qu’avons-nous profité de ce quasi demi-siècle de combats, de sièges, de
massacres et de bûchers, sinon que le Roi de Navarre est plus fort que jamais,
et qu’une grande armée de reîtres allemands menace nos frontières ?
N’est-ce rien pour vous qu’ils doivent, afin que d’envahir ce royaume, passer
par la Lorraine et dévaster le duché dont vous êtes issu ?
— J’en accepte le péril pour la
plus grande gloire de l’Église catholique, dit le Duc, en portant tant haut la
crête que s’il eût été le saint Georges appelé tout particulièrement par le
Seigneur pour terrasser le dragon de l’hérésie, et vous-même, Sire,
poursuivit-il, avez juré de l’affronter par le traité de Nemours.
— Auquel, dit le Roi âprement,
il y eut depuis tant d’accrocs et de contraventions…
— De votre part, Sire !
cria le Duc de Guise, coupant la parole à Sa Majesté, et parlant d’un ton si
haut, si abrupt et si insolent qu’Épernon porta la main à sa dague : ce
que voyant le Roi, il lui lança un œil si sévère que la main de l’archimignon
retomba incontinent le long de ses chausses.
Cependant, le geste ne passa pas
inaperçu du Guise, lequel virevolta sur lui-même, comme s’il eût craint qu’on
le poignardât par embûche dans le dos, mouvement qu’il fit prestement, mais
avec une sorte de roideur qui me donna à penser qu’il portait
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