Le Prince Que Voilà
émeuvement, ni serrement de gorge pour moi, ni larmelettes en
ses beaux yeux.
Mon Angelina n’étant pas au logis
quand nous advînmes en Paris, j’y laissai Larissa pour courir au Louvre voir le
Roi, lequel se montra fort content que la Reine d’Angleterre parût entrer dans
ses plans qu’à part moi je trouvais quelque peu tortueux et aléatoires, Henri
se trouvant, pour ainsi parler, connivent à l’invasion de son propre royaume
par des forces étrangères, dans l’espoir que celles du Duc de Guise en seraient
écrasées. Mais ce fut un contentement fort bref, car le Roi était rongé des
brouilleries qu’on lui faisait à Paris, ayant vent quasi quotidiennement des
projets de la Ligue (lesquels renaissaient sans cesse comme les têtes de
l’Hydre) pour se saisir de la ville, assassiner son Conseil et se saisir de sa
personne pour le serrer en couvent.
Le 18 février 1587, Mary Stuart
fut décapitée en la grande salle du château de Fotheringay sur un échafaud
tapissé de noir. Qu’elle fût coupable, qui eût pu en douter, sauf les plus
zélés ligueux, lesquels présumèrent d’appeler « sainte » la
complice adultère du meurtre de son mari, et la félonne Reine qui, non contente
de léguer son royaume et le royaume d’Angleterre à un souverain étranger, avait
comploté contre la vie d’Elizabeth et appelé de ses vœux l’invasion étrangère.
Toutefois, la nouvelle de sa condamnation et les récits de son exécution ne
laissèrent pas de m’émouvoir, pour ce que la meurtrerie d’une femme abhorre à
mon imagination, tant est que Mary eût-elle été mille fois plus fautive, je
n’eusse pas voulu qu’elle fût punie, ni que sa tête charmante tombât.
Chut alors sur Paris une pluie
furieuse de prêches, pasquils, libelles et petits vers, tant latins que
français, qui d’un côtel portaient aux sanglotantes nues « l’âme
splendide » et « les vertus royales » de « la sainte
martyrisée », et de l’autre vouaient aux supplices, aux gémonies et aux
ténèbres extérieures la Reine Elizabeth, laquelle, sur ces langues émoulues et
sous ces plumes frénétiques, devenait « scélérate », « Reine
putain », « chienne impure », « impie maquerelle »,
« courtisane soignant sa lèpre par le moyen d’un sang innocent » et
enfin, ce qui me parut hisser l’invective au sommet du ridiculeux :
« œuf trop exécrable d’un corbeau sacrilège », le corbeau étant
Henri VIII, lequel avait récusé le pape et établi l’Église anglicane,
raison pour quoi il était à jamais corbeau, et sa fille « un œuf »
assurément haïssable, dès le moment que perçant sa coquille, elle eût vu la
lumière du jour.
Si ma remembrance est bonne, c’est
vers la mi-juin que le Roi apprit que se formait sur nos frontières l’armée de
secours étrangère pour laquelle Elizabeth avait à la parfin baillé des subsides
au Roi de Navarre (comme mon ambassade lui avait suggéré de le faire) et je vis
bien, en effet, que celui-ci, dès qu’il apprit la nouvelle, n’en fut guère
marri, puisque cette armée-là, bien le rebours, servait en plus d’une manière
ses plans machiavéliens et de prime, lui apportait arguments pour tâcher de
convaincre Guise de renoncer à la guerre inexpiable contre les huguenots, étant
donné la menace que faisait peser l’invasion des reîtres, et sur le royaume, et
en particulier sur la Lorraine dont le Duc tirait une bonne part de ses
revenus.
Ce ne fut pas facile d’amener Guise
à encontrer le Roi pour ce qu’il se méfiait excessivement de quelque embûche et
surprise qu’on lui pourrait machiner, bien averti qu’il était que, quelque
bonne mine que le Prince lui montrât et quelque aimable lettre qu’il lui
écrivît, il ne lui voulait guère de bien en son for. Mais enfin, la Reine-mère
qui était plus ligueuse que royaliste (encore que le Roi fût son fils)
s’entremettant, comme elle aimait à faire, alla voir le Duc à Châlons (où il
avait établi ses quartiers) et le persuada de venir à Meaux pour s’aboucher
avec le Roi. Ce qu’il fit à la parfin, non sans avoir balancé quelques jours
encore, au cours desquels nous apprîmes à Meaux le triste exploit perpétré par
le Duc de Joyeuse, à La Motte-Saint-Eloi, où il avait eu affaire à quatre ou
cinq cents huguenots qui, s’étant rendus à lui après un bref siège, sous la
promesse de vie sauve, furent, à l’encontre de la parole donnée
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