Le Prince Que Voilà
attirerait
infailliblement contre elle les armées du Duc de Guise, lesquelles, si Dieu
voulait qu’elles fussent détruites ou affaiblies, le Roi de France serait à
bien plus grande liberté pour composer avec le Roi de Navarre, avec lequel il
s’est toujours bien accommodé et qu’il a avoué hautement comme son successeur
au trône de France.
Après quoi il y eut un long silence
et un actif échange de regards entre la Reine et Walsingham, et derrière eux
entre Lady Markby et Mundane.
— Combien que tout cela soit
folie, il y a quelque logique en cette folie, dit enfin la Reine, puisque le
même ver qui ronge le trône de votre maître grignote aussi le mien.
Faisant alors signe à my Lady Markby
de se pencher, elle lui parla à l’oreille à voix fort basse, mais il me sembla
que ce fut là un message aimable, pour ce que my Lady Markby à l’ouïr, sourit,
et l’alla tout de gob répéter à l’oreille de Walsingham, lequel, sans toutefois
sourire, fit oui de la tête et, de la main, un signe à Mundane qui, saluant Sa
Majesté, se retira aussitôt.
— Sweet Siorac [61] ,
dit Elizabeth qui oubliant tout soudain mon surnom, me bailla à mon département
l’hommage d’une allitération. Faites, je vous prie, à votre maître, mon
bien-aimé frère, dix mille millions de mercis pour la confortante amitié qu’il
me montre en mon présent prédicament. Dites-lui que je lui souhaite du bon du
cœur et prierai le Seigneur Dieu tous les jours de préserver et sa vie et son
trône, comme j’attente de faire des miens. Dites-lui enfin que touchant son
dernier message, lequel est en effet de la plus grande conséquence, je vais y
rêver à loisir avec mon conseil et qu’il verra aux effets ce qui en sera
résolu.
Quoi dit, elle me tendit ses doigts
sur le bout desquels, ayant mis un genou à terre, je posai un dévotieux baiser,
présumant cependant d’articuler à la parfin, les mots qui me brûlaient la
bouche :
— Plaise à Votre Majesté,
touchant le sort de Mademoiselle de Montcalm…
— Monsieur, dit my Lady Markby,
me coupant tout de gob, l’étiquette défend d’adresser la parole à la Reine une
fois qu’elle vous a présenté la main.
Je me relevai, accoisé, vergogné,
dépité, et la bouche cousue par cette roide remontrance, je saillis de la salle
à reculons, faisant à Elizabeth, trois humilimes salutades, imité par my Lady
Markby qui, une fois qu’on fut hors, me prenant par le bras, me glissa à
l’oreille :
— Gentil Siorac, prenez
patience. Laissez à la Reine et à Walsingham le temps d’y rêver et la chose se
résoudra de soi.
— Pourquoi le masque ?
dis-je, voyant qu’elle me le tendait derechef, et ici même ?
— Pour ce que nous ne savons
pas, dit-elle, si quelque agent de l’Espagne ne s’est pas glissé céans.
— Quoi ? dis-je, dans un
des palais de la Reine ?
— Pourquoi non ? dit-elle,
la pécune peut tout. Goûterions-nous toutes les viandes de Sa Majesté, si nous
n’avions pas cette crainte ?
Avant que d’arriver au logis de mon
affectionnée hôtesse, my Lady Markby, posant sa main sur mon bras, me dit
encore :
— Un personnel cadeau vous
attend au logis où la Reine l’a fait porter. Raison pour quoi vous avez vu
Mister Mundane prendre congé à la française en fin de votre audience.
— Ah ! my Lady Markby,
dis-je, je sais un gré infini à Sa Majesté de ses gracieuses libéralités, mais,
étant aux gages de mon maître le Roi de France, je ne peux, hélas, rien
accepter des mains d’un souverain étranger, quelque amour et révérence que je
nourrisse pour lui.
À quoi my Lady Markby se contenta de
rire, étant de sa complexion d’humeur gaie et folâtre, et de chuchoter à mon
oreille sur le ton de la picanierie :
— Espérez un petit de le voir
avant que de le refuser. Il vous attend dans le salon de Lady T.
Je lui voulus baiser les mains quand
nous advînmes là, mais elle conduisit de soi mes baisers vers de plus suaves
cibles. Mignonneries qui, pour brèves qu’elles furent, me donnèrent à penser
que la Reine, pour le repos de ma conscience, avait été fort avisée de me loger
chez my Lady T et non chez quelqu’une qui oubliait si coutumièrement
qu’elle possédait mari et maison en Shropshire.
Ce ne fut pas sans quelque curiosité
de connaître la nature et la forme de ce royal présent que je dirigeai mes pas
vers le salon où, promenant mon œil d’entrée sur les meubles
Weitere Kostenlose Bücher