Le Prince Que Voilà
et des lois de
la guerre, impiteusement égorgés, sauf un qui s’ensauva, et dont je reparlerai
plus loin.
Cet acte fut trouvé par le Roi et la
Cour excessivement cruel, digne d’un bandoulier de la Ligue et non d’un
lieutenant de Sa Majesté, et paraissait de reste si peu conforme au caractère
léger, fantasque et ébullient du Duc de Joyeuse, qu’Agrippa d’Aubigné,
rencontrant peu de temps après, lui en demanda la raison.
— Ha ! dit Joyeuse, qui ne
voit que le royaume se décompose et tombe en morceaux ? Et quant à moi qui
veux avoir part à ses débris, je sais que pour cela il faut que je sois bien
accommodé dans les prêches qu’on fait à Paris. Or ce massacre, que j’avoue
n’avoir commandé que le cœur malcontent, sera plus au goût des prédicateurs de
Paris qu’une bataille que j’aurais gagnée à grand péril, mais où j’aurais usé
de mansuétude avec les prisonniers.
— Léger, il l’est, dit le Roi
devant Chicot après qu’on lui eut rapporté ces propos, mais hélas, il est léger
aussi dans la bassesse. Dépêcher, au dépit de l’honneur, cinq cents prisonniers
pour être loué en chaire par les prêchereaux, voilà qui juge tout ensemble, et
les prêchereaux, et Joyeuse.
L’autre Duc, celui qui voulait
vaquer le trône de mon maître pour s’y mettre, rassembla à la fin assez
d’estomac pour s’aventurer jusqu’à Meaux où, le Roi et la Cour l’attendant, il
advint avec une suite nombreuse le 2 juillet. Je ne l’avais vu de
longtemps et le trouvai fort peu changé, étant, à l’exception peut-être
d’Épernon, le plus grand, le plus beau, le plus gaillard, agile et dextre de
tous les princes de ce royaume, y ayant peu, en outre, qui eussent pu lui
disputer la palme pour la beauté de la face, ayant l’œil velouté et fendu, le
trait fin, et une mignarde moustache joliment retroussée sur des lèvres
dessinées à ravir. Cependant, à bien l’observer, tandis qu’à envisager sa
mortelle enveloppe, mon admiration pour lui à chaque minute croissait (tant il
avait à se glorifier dans la chair) je ne laissais pas que de lui trouver, sous
ses splendides apparences, l’air faux et chattemite.
Non que la comédie manquât aussi
chez le Roi. On n’épargnait pas, des deux parts, ces tendres brassées, amicales
œillades et suaves protestations, dont on sait ce qu’en vaut l’aune, ces
grimaces n’étant qu’eau benoîte de cour, le pensement de derrière la tête ne
pouvant se mettre devant. Mais, le propos de ces déguisures n’était pas le
même. Le Roi voulait la paix et prêchait ardemment pour elle, tandis que le
Guise brûlait de marcher dans le sang des Français et la misère du peuple (ce
sot peuple qui tant l’aimait) pour s’ouvrir un chemin jusqu’au trône, son âme
étant patiente de tout, hors de ne pas régner.
Le Révérend Docteur Marc Miron lui
ayant fait donner clystère le matin même, le Roi, étant dolent assez, reçut le
Duc de Guise en sa chambre. Mais ne voulant pas le flatter de l’espoir qu’il
était égrotant et que sa succession s’allait ouvrir, il fit l’effort de
s’habiller avant que d’introduire son périlleux visiteur et se fit garnir une
table de vin, de pain et de deux chapons, lesquels il commanda à Miron, à Du
Halde, à Chicot et à moi-même de dévorer en partie avant que de s’attabler
lui-même, un pilon à la main, affectant de gloutir la chair à dents aiguës
quand le Lorrain entra, tout sourire. Mais voyant du premier coup d’œil les
conséquents reliefs de la repue, il cessa de sourire, et allongea la mine,
quelque effort qu’il fît, se reprenant, pour la raccourcir.
— Mon cousin, dit le Roi
allègrement, j’ai pris clystère ce matin et, me sentant fort vide, me suis
incontinent rempli, étant creusé d’une faim canine. Mais voulez-vous me
joindre, mon beau cousin ?
— Nenni, Sire, c’est trop
d’honneur et j’ai là mangé, dit le Duc, à qui le Roi eut la malice de présenter
une main toute graisseuse du chapon, laquelle le Guise effleura de sa moustache
avec le plus de respect qu’il put.
— De reste, dit le Roi en se
levant et s’essuyant les mains et la bouche avec une serviette que Du Halde lui
présenta, j’ai glouti assez. L’homme ne saurait être si friand qu’il ne puisse
modérer son excessivité. Corpus onustum hesternis vitiis animum quoque
praegravat una [62] .
poursuivit-il, gravement et d’un air de souriante connivence, comme
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