Le Prince Que Voilà
du jour. Non, non, je coucherai, moi, à la soupente, ne faisant aucun
cas du froid et de l’humidité, dès que je m’ensommeille.
— Benoîte Vierge ! s’écria
Alizon, redoublant d’autant ses poutounes que la pensée de me voir en soupente
lui donnait de la compassion, moi, mon Pierre, te loger en réduit obscur,
pluvieux, malodorant, où je n’eusse osé mettre une souillon de souillarde !
Toi, un noble gentilhomme et grand révérend médecin ! Vramy ! Il
ferait beau voir ! Le rouge me brûlerait le front ! Mon Pierre, si
partager ma petite coite céans te repousse, c’est moi, poursuivit-elle en
poussant un soupir à réveiller un feu de forge, c’est moi qui m’en irai
m’étioler en soupente, te laissant la chambre que voici…
— Tu te gausses, mon
poussin ! dis-je, poutounant en ma gratitude son cou délicat et mollet.
Non content de m’abattre sur ta maison avec Miroul et Florine, je te roberais
ta chambre et ta coite ! Fi donc ! Me crois-tu si dévergogné que de
mettre ma bonne hôtesse à telle incommodité ! Et de dresser mon camp comme
en pays conquis, m’aisant et m’étalant en une coite dont j’aurais banni ton
gentil corps, et me chauffant à ton feu quand tu grelotterais en
soupente ! Cornedebœuf ! Il n’en est pas question ! Je coucherai
sur le plancher au pied de ton lit, si tu as d’aventure quelque bonne
couverture de cheval à me bailler.
— Point n’en ai ! dit
Alizon promptement, et la pensée m’abhorre que tu te meurtrisses les os sur le
parquet. Mais, mon Pierre, nous en avons assez débattu. Allons gloutir un
morcel et boire un ou deux pichets de mon bon vin de Bordeaux. Et laissons la
chose à l’inspiration du moment.
Ce que nous fîmes. Mais devant que je
m’allasse coucher, Mosca, que Miroul avait pu voir une seconde fois hors
Châtelet à la tombée du soir, vint toquer à la porte d’Alizon, suivi d’une
forte escorte et, ayant obtenu l’entrant, s’entretint avec moi une grosse
heure. Ce qui fut dit dans cet entretien de très remarquable et de fort
déquiétant pour la paix du royaume, je le dirai plus tard, en devant répéter la
substance au Roi le lendemain du jour où il eut lieu, ayant de prime averti Sa
Majesté par Quéribus (à qui je dépêchai Florine) qu’il eût à laisser pénétrer
au Louvre par une porte discrète, non point le chevalier de Siorac (celui-là
ayant en toute apparence quitté Paris) mais le maître bonnetier-enjoliveur
Baragran. Ce qui se fit par le moyen d’une marque portant le sceau royal,
laquelle je devais présenter à la Porte Neuve qui donne sur le jardin des
Tuileries, et de là dedans le Louvre par un guichet dérobé : porte et
guichet jour et nuit fortement gardés afin qu’arrivant des provinces, ou
partant de la Cour pour les provinces, les missi dominici [65] pussent sortir de la demeure de Sa Majesté ou y pénétrer, sans avoir à passer
par les rues de Paris, lesquelles, quand bien même elles n’eussent pas été
séditieuses, fourmillaient d’espions ligueux, et étaient le jour tant
embarrassées par les attelages que c’est à peine si on y pouvait passer. Ainsi,
grâce à la Porte Neuve, la rapidité, la sûreté et le secret des messagers du
Roi furent assurés et le Roi lui-même pouvait, quand il le jugeait utile,
gagner le plat pays sans avoir à traverser Paris : sage et prudente
disposition qui s’avéra de la plus grande conséquence dans l’enchaînement de
cette histoire.
Pour moi, il y avait de manifestes
avantages à cet itinéraire que je suivis plus d’une fois pour aller informer le
Roi, car sortant de Paris avec mon Miroul (lequel avait teint son cheveu et mis
un bandeau sur l’œil, et moi-même en ma déguisure de marchand bonnetier) par la
porte Saint-Honoré, nous poussions nos chevaux par le faubourg du même nom
jusqu’au plat pays, où se voyaient à dextre et senestre de charmants moulins,
traversions la Seine à la senestre d’un joli village appelé le Roule et,
longeant alors la rivière, traversions la Seine au pied de la colline de
Chaillot (du nom du village qui la couronne), endroit qui pour nous comportait
de sinistres remembrances, pour ce que les corps flottants des huguenots
massacrés lors des sanglantes matines de la Saint-Barthélemy, s’étaient
échoués, quinze ans plus tôt, en ce même endroit, dans les herbes longues et
les joncs des deux campagnardes rives.
Remontant alors vers Paris, nous
rentrions non point
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