Le Prince Que Voilà
précisément dans la capitale, mais dans le jardin des
Tuileries par la Porte Neuve (toujours fortement tenue par les gardes du Roi,
et non par la Milice, laquelle n’était pas sûre, étant infestée de ligueux).
Là, ayant montré la marque royale et ayant reçu l’entrant et démonté, nos
chevaux étant mis dans les écuries du Roi, lesquelles se trouvaient quasi
adossées à la porte, un sergent nous menait jusqu’au guichet dérobé, Miroul me
suivant, portant sur son dos une hotte d’osier emplie de vêtures, parures et
affiquets dont nous étions censés tenir boutique et marchandise, ladite hotte
s’encontrant à chaque fois fouillée par un détachement des quarante-cinq, lesquels surveillaient continuellement ce guichet, de jour comme de nuit,
étant, comme j’ai dit, la garde personnelle du Roi et ne quittant plus le
Louvre, depuis que les choses avaient tant empiré entre les Parisiens et Sa
Majesté.
Le commode de ce cheminement qui
nous faisait saillir de Paris par la Porte Saint-Honoré et rentrer au Louvre
par la Porte Neuve, c’est que, nous imposant un long et lent contournement qui
nous faisait trotter par les chemins, villages et moulins du plat pays pour
revenir en la ville, il me permettait de m’assurer que nous n’étions pas
suivis. D’autant que parvenus au village du Roule, nous prenions le parti de
tourner autour de l’église (qui était hors la route) pour nous acertainer que
les allant-derrière ne nous collaient pas à la queue pour nous épier.
Je n’avais vu le Roi depuis le mois
d’août 1587 et quand Du Halde fort tôt dans le jour m’introduisit en sa
présence (suivi de Miroul portant sa hotte et fort émerveillé d’être admis en
l’intimité du souverain) je fus surpris par l’altération que ces quelques mois
avaient amenée en sa personne, ses traits s’étant creusés et ses cheveux
blanchis aux tempes. Quant à son corps, il me frappa comme maigri par le haut
et gonflé par le bas, le dos étant courbe, la poitrine rentrée, les épaules
affaissées et toutefois les hanches épaissies et le ventre renflé, alors même
que Sa Majesté mangeait si peu et si mal, à ce que déplorait Du Halde. Pour le
regard de son teint, il portait le témoignage tout ensemble de ses plaisirs
(que l’Étoile, oubliant les siens, m’avait dénoncés), du manque d’air et
d’exercice, et des soucis épuisants d’un pouvoir qu’il exerçait depuis quatorze
ans dans des conditions on ne pouvait plus venteuses et tracasseuses, portant à
bout de bras un royaume déchiré par les factions, les complots et les guerres
fratricides.
Je n’en pouvais croire mes yeux à
voir mon bien-aimé souverain tant vieilli alors qu’ayant tout juste mon âge, il
paraissait vingt ans de plus. Cependant, je ne m’alarmais pas outre mesure,
sachant combien sa corporelle enveloppe répondait à ses humeurs et en quelle
extraordinaire guise une bonne nouvelle ou un espoir neuf le pouvait tout
soudain transformer, tant est qu’en quelques minutes, l’œil brillant, le front
haut, le torse redressé, il pouvait retrouver sinon les roses bourgeons de sa
juventude, à tout le moins les vertes feuilles de son âge viril.
— Ha mon fils ! dit-il en
me présentant la main, c’est un sourire de la fortune que de te revoir céans,
en cette Cour dont les rangs se sont bien éclaircis en ton absence, tant
d’ingrats ayant fui, dont les cœurs suivent les têtes, lesquelles tournent à
tout vent. Mais, poursuivit-il, observant ma vêture, comment te voilà fait, mon
Siorac !
— Sire, dis-je, un genou à
terre, plaise à Votre Majesté de se ramentevoir que Siorac n’est plus, ayant
fui devant les attentements de meurtrerie des ligueux et que vous avez devant
vous le maître-bonnetier Baragran. Quant à ce commis borgne que vous voyez là,
lequel vient de poser sa hotte à terre, c’est mon secrétaire Miroul, lequel est
à moi le plus fidèle serviteur du royaume.
— Tel maître, tel serviteur,
dit le Roi, adressant en sa grande bénignité et condescension un petit signe de
la main à Miroul, lequel en rougit de bonheur. Baragran, poursuivit-il en se
tournant à moi, quel conte t’a fait Mosca ? Bleu ou noir ?
— Noir de l’encre la plus
noire, Sire. Le gros pourceau fut avant-hier secrètement en Paris et autour de
lui, voletant et s’assemblant, les plus grosses mouches à merde de la Ligue.
— La Saignée, dit Chicot la
goutte au nez, je l’ai toujours cru,
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