Le Prince Que Voilà
baillée par la Ligue. De cette
façon, on empêcherait, d’une part, les truands de saillir hors la cour des
miracles pour se répandre en la ville, et d’autre part les gentilshommes et les
politiques logés aux divers quartiers de venir à secours au Roi en son Louvre,
auxquels fidèles serviteurs, comme étant suspects d’hérésie, on trancherait
tout de gob la gorge, s’ils apparaissaient.
— Tudieu ! dit Chicot, on
ne halète que sang et ne ronfle que massacre en cette Paris que voilà !
— Ainsi, dit le Roi, le menton
dans la main et envisageant le vide de ses beaux yeux noirs d’un air rêveux et
songeard, c’est cela qu’ils appellent une barricade. E bene trovato [66] Car il va sans dire que deux douzaines de guillaumes, retranchés derrière ces
barricades avec des arquebuses, pourraient tenir tête à deux ou trois
compagnies ou enseignes de gardes éprouvés, surtout si les maisons riveraines
se trouvaient entre les mains de leurs partisans. Ce qui, hélas, serait le cas.
Cette réflexion ne laissa pas que de
me frapper prou quand je l’ouïs – et plus encore quand la suite des
événements démontra sa clairvoyance – pour ce que j’y reconnus le coup
d’œil aigu du Prince guerrier de Jarnac et de Moncontour ; lequel n’était
point tant endormi « sur sa longue litière », comme avait dit
l’Étoile, qu’il ne sût apprécier en soldat les mésaises et les avantages d’une
situation. Tant est que cette remarque du Roi me conforta excessivement,
combien qu’elle fût en soi pessimiste, pour ce qu’elle raffermit la fiance que
j’avais en sa subtilesse, en sa lucidité, et en son souple talent pour se tirer
des traverses les plus périlleuses.
— E bene trovato, reprit le Roi en secouant le chef et parlant italien, non point tant
parce qu’il était florentin par sa mère que parce qu’il aimait cette langue,
dont je lui ai ouï dire plus d’une fois qu’il la jugeait plus élégante et plus
flexible même que le français.
Et hochant la tête encore, il
répéta :
— Bene, bene, bene :
des barriques, une barricade, quoi de plus
simple ? Une trouvaille, mon Siorac. Et fort peu dispendieuse : des
tonneaux, de la terre, des pavés. Et voilà arrêtés les régiments du Roi !
Nos bons ligueux ne sont pas si sottards que je l’eusse cru, Du Halde. La haine
leur donne beaucoup d’esprit.
— Mais, Sire, dit Du Halde,
dont la longue et austère face montrait avec laquelle alarme il oyait ces
propos, à ce compte un Prince ne pourrait jamais remettre en bon ordre et
sagesse une ville séditieuse.
— Si fait, dit le Roi, mais par
des moyens plus longs et plus doux que des combats de rue qui sont toujours
fort coûteux des deux parts en vies humaines et répandent des ruisseaux de sang
pour une incertaine issue. À preuve ce que nos bons ligueux appellent « l’heureuse
journée Saint-Séverin », où deux ou trois curés crottés et trois
douzaines de manants ont mis mes gardes en échec. Pour vaincre. Du Halde, il y
eût fallu du canon, et massacrer tout un quartier.
— Mais, Sire, dit Du Halde
roidement, s’il faut en arriver là à la fin des fins…
— Nenni, nenni, mon Du
Halde ! dit le Roi avec force. Un Roi ne doit jamais se mettre dans le cas
de giboyer sur ses sujets ! Acte contre nature et tant inutile
qu’inhumain ! C’est la leçon que j’ai tirée, quant à moi, de la
Saint-Barthélemy.
Oyant ces belles et nobles paroles
et reconnaissant le cœur qu’il avait fallu au Roi pour les prononcer en démenti
de sa propre gloire de Jarnac et de Moncontour, je fus tant ému et transporté
que, me jetant à ses genoux, je présumai de saisir sa main et de la baiser.
— Hé quoi ! dit le Roi
avec un sourire d’affectionnée irrision (et retirant sa main des miennes, il
m’en donna une petite tape sur la joue). Hé quoi, mon Siorac, te voilà heureux,
pour ce que je blâme la Saint-Barthélemy ! N’es-tu pas bon
catholique ?
— Sire, dis-je, si être bon
catholique, c’est être ligueux, haineux et séditieux, point ne le suis. Mais si
un homme est bon catholique, quand il oit la messe et sert son Roi, alors, Sire,
comptez-moi de cette Église-là.
— Bien parlé, Siorac, dit le
Roi en donnant deux petits coups de ses belles mains sur les accoudoirs de son
fauteuil. Mon Église à moi est celle des bonnes et honnêtes gens qui ne veulent
pas user du cotel pour exterminer les hérétiques, mais de la raison pour
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