Le Prince Que Voilà
et ne
reviendraient qu’à la nuit. Quoi oyant et à moi-même livré, je ressentis
quelque fatigue de mon long voyage, et gagnant ma chambre et me jetant sur ma
coite, je tâchai à m’ensommeiller, mais y faillis, pour ce que si mon corps
était las, mon esprit s’activait prou et mon âme – que je crois différente
de l’esprit, en étant pour ainsi parler le souffle, le branle et
l’impulsion – s’encontrait si exaltée à la pensée des aventures que
j’allais vivre, que je sentais ma poitrine se dilater et ma narine se gonfler
d’une sorte de hautesse et d’ivresse, comme si j’eusse piaffé, frappé le sol de
mes sabots, et secoué ma crinière, impatient que j’étais de m’élancer vers des
horizons nouveaux, quelque embûche ou traverse qui se pourrait encontrer en
cette chevauchée.
Me ramentevant alors la belle image
de mon cher l’Étoile, lequel avait comparé le Roi à un cheval de bataille dont
la guerrière audace s’était perdue sur la longue litière, j’observais qu’en ce
qui me concernait, la longue litière du Chêne Rogneux ne m’avait en aucune
guise amolli, bien le rebours, et que le danger même où j’étais, les
précautions, les ruses, les stratagèmes par lesquels je glisserais hors les
griffes des ennemis de l’État, ma déguisure en bonnetier, mon séjour chez ma
petite mouche d’enfer, les périls (ceux-là délicieux) qu’il m’y faudrait
encourir, mes allées et venues, mes pas et mes démarches, mes aguets, mes
attentes, mes pièges pour échapper aux pièges, tout dans ce proche avenir
m’arrachant à l’ornière et sillon d’une existence tout ensemble trop ordonnée
et trop sûre, me jetait dans une excitation telle et si grande qu’elle me
donnait une joie à vivre – même dans les dents de la mort – tout à
plein incommensurable à mes jours quotidiens.
J’avais alors trente-sept ans, et
parvenu à cet âge où on est accoutumé dans nos pays à tenir un homme pour un
barbon, et à trouver naturel qu’il prenne ses retraites, comme Michel de
Montaigne avait fait avant que la quarantaine l’atteignît, je ne sentais point
du tout, quant à moi, me tourmenter le besoin de rien retrancher ni rabattre de
mes exertions, de mes entreprises, de mes amours, tenant, bien le contraire,
leur cessation pour un lâche consentement à la vieillesse et à la mort,
auxquelles un homme, à mon goût, ne devrait jamais consentir qu’après un long
combat, le dos au mur, les forces lui faillant, et l’épée lui tombant de la
main.
La nuit sur nous déjà, et mon Miroul
absent du bercail encore, l’inquiétude me déquiéta quelque peu sur ma coite, et
comme je me levais, j’ouïs toquer à ma porte et Florine, un moment plus tard,
me vint dire qu’un guillaume, qui disait s’appeler Franz, quérait à me voir
d’urgence. À fouiller ma remembrance, je me ramentus que le lorrain et géantin
laquais de la Boiteuse, à qui j’avais baillé un écu pour le conforter de s’être
fait fouetter par le majordome de sa maîtresse, m’avait dit se nommer ainsi. Et
encore que je me fusse apensé que le gautier ne me pouvait vouloir du
mal – la gratitude pesant moins aux simples gens qu’à nos brillants
coquardeaux de cour – je me mis au dos une dague à l’italienne, et armai
un pistolet que je passai à ma ceinture avant que de jeter un œil par le judas,
et déclore l’huis, ayant reconnu l’homme, lequel me remit un billet que je lus
tout de gob, le voyant comme accoisé et attendant réponse.
« Monsieur mon cousin.
Ma cousine vous voudrait voir ce
soir en son hôtel sur le coup de dix heures, et comme vous savez, elle est de
celles qu’on ne peut décevoir. J’escompte donc votre prompt acquiescement,
lequel vous voudrez bien impartir au porteur de ce billet.
Je suis, Monsieur mon cousin, en
cette attente, votre humble et dévouée servante :
Jeanne de LA VASSELIÈRE. »
Ayant lu, je tombai dans quelque
perplexité, étonné que la Montpensier ait su si vite mon advenue céans, et
cette circonstance m’inspirant quelque défiance, je me sentis très peu
d’appétit à m’aller fourrer derechef dans la gueule de ces ogresses, tout en
redoutant toutefois, en n’y allant pas, d’encourir leurs mauvaises dents. Et
voyant que Franz, tandis que je débattais ces épines en mon for, gardait son
œil bleu sur moi, et que cet œil n’était pas méchant, bien le rebours, je
m’avisai de lui
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