Le Prince Que Voilà
fait de la Ligue.
— Mais Mosca, dis-je,
viendra-t-il ?
— Ha Monsieur le
Chevalier ! dit Mosca, qui pourra jamais sonder le Guise ? Il a tant
de visages différents qu’il ne sait plus lui-même lequel est vrai. En outre,
ayant pris le parti de marcher vers le trône par degrés insensibles, et non
point droit, mais de côté, comme un crabe, il doit éprouver un immense embarras
à franchir le Rubicon d’un seul pas et à paraître dans nos murs. Qui pis est,
il y a une grande incommodité en sa position. Il a trop peu de forces pour
dégarnir la Picardie et se présenter en ennemi en Paris ; et il lui est
malaisé de se présenter en ami, alors qu’il a robé au Roi tant de villes
picardes. Cependant, l’Espagnol et la Ligue le poussent si fort dans les reins
qu’il finira par venir, je crois, rechignant et comme timidement. Mais même
alors, Dieu sauve le Roi ! La meute parisienne sera contre lui déchaînée !
CHAPITRE XIII
Le 9 mai, me trouvant dans les
appartements du Roi plus tardivement qu’à l’accoutumée, et le Roi qui avait
affaire m’ayant prié d’attendre son bon plaisir, je m’assis sur un coffre qui
était en un recoin sombre, le chapeau sur les yeux, pour ce qu’il y avait
plusieurs personnes, en plus de Chicot et Du Halde, qui se trouvaient là, à
savoir le seigneur d’O, Pomponne de Bellièvre, le révérend docteur Marc Miron,
Fogacer (qui contrefeignit de ne me point reconnaître), M. de Merle, maître
d’hôtel du Roi, Alphonse d’Ornano qu’on appelait aussi le Corse pour ce qu’il
commandait les Corses de Sa Majesté, et le petit abbé d’Elbène, lequel était
fort bienvenu d’Elle, pour ce qu’il était royaliste et anti-ligueux, raison
pour quoi Henri le donna dans la suite à d’Épernon quand il partit pour
Angoulême – ville où l’abbé fut assiégé avec le Duc en sa maison par une
sédition fomentée par les ligueux et faillit y laisser la vie.
De son physique, l’abbé était un
petit homme frétillant aux yeux vifs qui n’était pas sans ressembler à un
écureuil et qui n’avait d’autre défaut que sa chicheté et son appétit à amasser
pécunes. Au reste, très propret abbé de cour, parlant d’une voix douce et
citant l’Écriture, et fort affectionné à Alphonse Corse, lequel le dépassait de
deux têtes au moins, étant géantin, carré, le poil et la voix rudes, et en son
déportement, haut à la main fendant, morguant et grand mangeur de charrettes
ferrées.
Vers onze heures, le cardinal de
Bourbon quit de se présenter au Roi, lequel le reçut, croyant qu’il avait
quelque nouvelle à lui impartir sur la venue ou la non-venue du Duc de Guise en
Paris, mais il apparut vite que le grand Sottard ne savait rien, et qu’il était
venu ès qualité de prélat, se prévaloir et se féliciter de la mort du Prince de
Condé, lequel avait été excommunié par le pape en même temps que le Roi de
Navarre, pour ce qu’il était, comme lui, hérétique.
— Voilà, Sire, dit-il en
branlant son chef chenu et en écartant les deux bras avec onction comme s’il
était en chaire, Sire, ce que c’est que d’être excommunié !
— Mais mon cousin, dit le Roi,
contrefeignant la naïveté, j’ai ouï dire que Condé avait été empoisonné par un
page.
— Assurément, Sire, dit le
grand Sottard, mais qui a armé le bras du page ?
— On raconte, dit le Roi, que c’est
l’épouse de Condé.
— Assurément, Sire, mais qui a
inspiré cette meurtrerie à la demoiselle de La Trémoille ?
— Sa paillardise, à ce qu’on
assure, dit le Roi avec un air d’ingénuité.
— Se peut, dit le cardinal,
mais Sire, il faut voir au-dessus des causes contingentes et remonter à la
cause nécessaire.
— Et qui est ? dit le Roi.
— La volonté de Dieu.
— Hé quoi, mon cousin !
dit le Roi. Serait-ce Dieu qui aurait commandé à M lle de La
Trémoille sa coqueliquade, et au page, son assassinat ?
— Ha Sire, dit le grand
Sottard, il faut voir les choses de bien plus haut que cela. Pour moi, je
n’attribue pas la mort de Condé à autre chose qu’au foudre d’excommunication
dont il a été frappé.
— Il est vrai, mon cousin, dit
le Roi en prenant le cardinal par le bras et en le conduisant par degrés vers
la porte, il est vrai que ce foudre-là est redoutable, mais si n’est-il pas
besoin que tous ceux qui en sont frappés en meurent : il en mourrait
beaucoup !
— Tant est pourtant, dit
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