Le Prince Que Voilà
j’eusse dû me douter que les épines de votre déguisure
n’iraient pas sans quelques roses.
— Nenni, nenni, my Lady,
dis-je, vous errez. De grâce, asseyez-vous, je meurs de quérir le pourquoi de
votre présence en Paris.
— Sono qui una persona nuova [69] , dit-elle (ayant la manie commune à Windsor comme
au Louvre d’italianiser sans raison), le logis de Lord Stafford est si entouré
de mouches, tant ligueuses qu’espagnoles, que nul n’en peut saillir sans en
avoir une ou deux à la queue. Je ne loge pas chez Lord Stafford, et personne en
Paris ne m’a vu mie, si bien que pour quelque temps encore, mes mouvements sont
libres.
— My Lady, dis-je en m’asseyant
à mon tour, je vous ois.
— La Picardie, dit-elle,
arrangeant autour de soi les plis de son vertugadin, lequel débordait en
bouillonnant hors du fauteuil où elle était assise, la Picardie est mon sujet.
— Ha ! dis-je, dressant
l’oreille. Et en l’extrême et soudain intérêt que je prenais à ses paroles,
oubliant quasiment son ensorcelante beauté, j’ajoutai :
— J’ai ouï hier que mon maître
est fort déquiété des remuements de Picardie.
— Ma Reine ne l’est pas moins,
dit my Lady Markby, mais pour des raisons différentes. Mon alouette,
poursuivit-elle, vais-je faire luire un jour nouveau, afin que vous chantiez
cette chanson-là au Roi ?
— My Lady, que votre petit cœur
en soit à jamais assuré ; je chanterai toujours ad maximam gloriam
Henrici et Elizabethae reginae [70] .
— Voici donc ma lumière :
D’Aumale et Guise prennent une à une les villes du Roi en Picardie, en chassent
les garnisons royales, déprisent ses commandements, refusent son gouverneur.
— Nous savons cela, belle aube.
— Mais savez-vous le
pourquoi ? Primo : en Picardie pécunes et troupes espagnoles
peuvent aisément couler des proches Flandres pour aider le Guise en sa
rébellion. Secundo : donnant donnant. Le Guise tâche à prendre ou
Calais, ou Boulogne, ou Dieppe pour bailler l’un des trois à Philippe II
comme port, havre, refuge et relâche pour son Invincible Armada.
— Calais, dis-je, est un morcel
trop gros pour la gorge du Guise. Et d’Aumale a failli devant Boulogne.
— Il reste Dieppe, dit my Lady
Markby avec un grand brillement de son œil. Et que si Guise prend Dieppe et le
donne à l’Espagne, ma maîtresse en sera bien marrie.
— Dieppe ? dis-je. Je
n’avais pas rêvé à Dieppe !
— Le Guise, lui, y rêve. Sans
cela, d’Aumale eût-il saisi Abbeville ? Il n’y a qu’un saut de puce
d’Abbeville à Dieppe.
— Ha ! dis-je, la merci à
vous, aurore ! Tout s’éclaire ! J’entends enfin les alarmes du
Roi !
— Pourtant, dit my Lady Markby
en détachant ses paroles une à une comme autant de flèches qu’elle eût
décochées contre une cible, il suffirait que le Roi de France jette quelques
forces dans Rouen pour verrouiller la Normandie et pour empêcher la garnison
guisarde d’Abbeville de se jeter sur Dieppe.
— Le Roi, dis-je, après avoir
ruminé ces propos, hésitera à dégarnir Paris pour garnir Rouen, sa capitale
étant elle-même si menacée.
— Mais en revanche, dit my Lady
Markby, Guise hésitera à dégarnir la Picardie et à marcher sur Paris, s’il y a
une force royale à Rouen pour le couper de ses arrières.
— Voilà, dis-je, qui est bien
avisé. Mais la chose est à peser en de plus fines, sagaces et royales balances
que celles que je possède.
— Le direz-vous pourtant à
votre maître ?
— Du bon du cœur.
— Nous avons des raisons de
penser, reprit gravement my Lady Markby, que Philippe II lancera Guise
contre Paris le jour même où il lancera contre nous l’Invincible Armada. Ce
jour est proche. Dieu sauve le Roi de France si Elizabeth succombe sous les
coups de cette immense flotte !
— Amen, dis-je, les larmes me
jaillissant incontinent des yeux, tant abhorrait à mon imagination le pensement
affreux des soudards espagnols semant en nos deux pays leur brutale désolation,
lesquels seraient suivis par cette pieuvre infiniment plus terrible : l’Inquisition.
Ha ! bien je le voyais et concevais enfin : Le prédicament dépassait
la France. Le sort du monde se jouerait quand les voiles de l’Invincible
Armada se gonfleraient de vent : Si elles ne faillaient contre le
bastion anglais, tous les royaumes de la chrétienté seraient livrés tôt ou tard
au zèle fanatique des moines, lesquels extirperaient
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