Le Prince Que Voilà
partout, avec une lente,
minutieuse et méthodique cruauté, les neuves et tendres racines de la liberté
des consciences.
— Ce jour, dis-je quand j’eus
réussi à passer la bride à mon émeuvement, et encore quelque peu trémulant,
est-il si proche ?
— Nous le croyons, dit my Lady
Markby en me saisissant les deux mains et en les serrant avec force. Mon
alouette, voici les avoines qui nous ont nourries en cette prévision : je
vous les baille, pour que votre maître en fasse à son tour sa provende.
— Je vous ois.
— Nous savons qu’aux premiers
jours d’avril, Philippe II a dépêché à Guise, en Soissons, l’Aragonais
Moreo, lequel a pressé fort le Guise de marcher sur Paris en les premiers
jours de mai, en lui promettant trois cent mille écus, six mille
lansquenets et douze cents lances…
— Le Guise connaît l’Espagnol.
Il sait ce que vaut l’aune de ces promesses-là.
— Elles seront tenues, si,
comme nous le pensons, Philippe II, en ces mêmes jours, lance sa flotte
contre nous. Mon alouette, l’heure passe, je m’ensauve. Votre petite furie,
derrière l’huis, doit avoir l’oreille tintinnabulante de notre anglais. Je vous
revisiterai, s’il en est de besoin.
— My Lady, dis-je en lui
baisant les mains, je suis tant pour moi que pour mon Roi ravi de l’entretien
que voilà et m’émerveille doublement qu’Elizabeth emploie à ces missions une
personne de votre aimable sexe.
— N’est-elle pas femme, elle
aussi ? dit my Lady Markby en dressant fort haut la crête. Sommes-nous
plus sottardes que vous pour ne porter point braquemart en braguette ?
— Fi donc ! dis-je en
gaussant, je ne le dis ni ne le pense, tenant bien au rebours qu’il y a plus de
diplomatie en votre petit doigt qu’en le gros membre que vous dites.
— Belle menterie a belle
langue !
— Laquelle est toute à vous…
— Je vous ramentevrai ce vœu,
dit my Lady en souriant, si nous saillons saufs, vous et moi, de cet orage.
Alouette, vous voilà dans mes toiles. Je vous plumerai.
— My Lady, dis-je, rien ne me
plairait davantage que d’être cuit à votre feu.
— Ha Monsieur ! dit my
Lady en français, ne me chatouillez point à rire : à peu que je faille à
remettre mon masque. Êtes-vous donc si léger ? Pouvez-vous rire et rire
encore, quand l’apocalypse est sur nous ? Savez-vous que les vaisseaux de l’Armada emportent dans leurs flancs des moines, des bourreaux et des
machines à torturer, afin que de remettre le peuple anglais en la religion du
pape ?
— Madame, dis-je, le rire est
une arme aussi contre le zèle. Vous baiserai-je ?
— Votre audace est tardive. Mon
masque est mis.
— Mais il y a place pour mes
lèvres derrière votre petite oreille.
— Ha Monsieur ! vous me
volez celui-là !
— Madame, tout baiser volé
l’est aussi aux prêtres, lesquels sont nos communs ennemis.
Mais tout confortant que me fût ce
badinage de muguet, moi qui, depuis des mois, vivais loin des divertissements
et des lumières de la Cour en fort sombre logis, en fort triste vêture, dès
lors qu’eut départi cette haute dame (où sous l’ange pointait si galamment le
diable), je me sentis très seul et très soucieux, mon souci redoublant quand, à
la nuitée, cette mouche qui se voulait lion me vint dire que la Ligue
parisienne avait dépêché au Guise en Soissons un guillaume nommé Brigart
(lequel était bien nommé tant il aimait la brigue) pour le sommer quasiment de
venir en Paris, et qu’il y avait à cela une extrême urgence, tant les ligueux y
perdaient cœur à voir le Roi se fortifier dans le Louvre, la Bastille et
l’Arsenal, à telle enseigne qu’ils se voyaient déjà arrêtés et pendus, et
qu’ils se débaucheraient de la Ligue, si le Duc n’apparaissait pas comme il
avait mille fois promis de le faire. Qu’il vînt donc ! Que sa présence
rhabillerait tout ! Qu’il serait le ferment qui lèverait la pâte !
— D’Épernon, avez-vous
ouï ? dit le Roi à son archimignon quand je lui eus le lendemain répété
ces propos et ceux, de prime, de my Lady Markby. L’affreuse tempête approche
qui veut emporter tout ensemble le trône d’Elizabeth et le mien. Qu’en
êtes-vous apensé ?
— Sire, dit d’Épernon avec un
petit rire d’irrision, le Guise en Soissons ne demande que peu de chose :
la lieutenance générale du royaume, l’instauration de l’Inquisition en France,
l’extermination de vos sujets
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