Le Prince Que Voilà
sais, car, de tous les plaisirs et soulas
dont le corps féminin nous amielle et nous flatte, il n’en est pas qui soit
pour l’âme suc substantifique, si l’amour ne marche après lui. La Gavachette,
assurément, rendait moins pesants les murs de Mespech à mes vertes années, mais
il s’en fallait prou, pourtant, que j’eusse pour elle autant d’amitié que jadis
pour la petite Hélix, ou pour ma petite mouche d’enfer en Paris, à qui je ne
laissais pas de penser souvent en gratitude et affection pour l’aide et secours
à moi et aux miens apportés lors des sanglantes matines de la Saint-Barthélemy.
Je n’avais en Paris entr’aperçu mon
Angelina que quelques secondes, courant à beau pied à côté de sa coche et de la
main soulevant la tapisserie qu’on avait rabattue sur la portière pour me celer
sa vue, mais quel regard j’avais eu d’elle ! Que de volumes tenaient en
lui ! Je lisais, et relisais, et relisais encore la lettre que j’avais de
sa plume reçue à mon retour en Mespech, avant que la neige nous isolât du
monde, laquelle lettre me laissait espérer que le Père Anselme devenant un jour
proche le confesseur de M. de Montcalm, celui-ci (qui était comme on s’en
ramentoit, un cousin de Quéribus) pourrait devenir moins imployable à nos
projets. Ha beau pensamor ! Angelina serait-elle mienne à la parfin, et
après tant d’années ? Et par quel sortilège, de toutes les mignotes que
j’avais aguignées en toutes les parties du royaume, beaucoup, comme les dames
d’atour de Catherine de Médicis, tant belles et magnifiques qu’aucune fille de
bonne mère en France, Angelina seule avait touché d’une seule œillade de son
œil débonnaire ce cœur qui ne fut dès lors rempli que de sa seule face ?
Quels charmes, quels philtres, quel savant breuvage composé par Amour,
faisaient de sa main une main si chère que caressant ses doigts si fins, leur
seul contact me contrecaressait à me faire perdre souffle ?
La neige ne consentit à fondre que
le 5 avril, mais alors en quantités si grosses et incrédibles (s’étant
amoncelée depuis novembre) qu’elle inonda le plat pays et, libérant les
chemins, les rendit tant aqueux et boueux qu’on n’y pouvait davantage passer.
Par bonheur, notre plat pays périgordin ne mérite point ce nom, se trouvant
bossué de pechs et de collines, et les chemins dont je parle ne laissant pas
d’être pentus, l’eau n’y demeura guère, mais se rassembla, ruisselante, dans
les combes, où elle grossit nos Beunes, et fit du moulin de Coulondre
Bras-de-Fer une île inaccessible, hors en barque. Mais toute molle glaise ne
pouvant qu’elle ne s’assèche, comme est dit dans la Bible que fit la Terre
après le déluge, le soleil fit tant qu’il solidifia nos sols et mon Quéribus,
la mort dans l’âme (à ce que je vis bien) dut sonner le boute-selle, comme il
avait dit, m’assurant que s’il n’était tué au service du Duc d’Anjou, ne
sachant où on en était de la guerre avec les nôtres et du siège de La Rochelle,
il ne laisserait pas de m’écrire et s’il le pouvait, de revenir en Mespech, y
laissant des amis – il usa de cet ambigueux pluriel – que son cœur
lui poignait fort de quitter. Là-dessus, il m’accola, m’appela « son
frère » – ce qu’il n’avait encore jamais fait – et me bailla à
la fureur tous les poutounes qu’il eût tant volontiers posés sur une joue plus
douce.
Les dames, au départir, versèrent
quelques larmelettes, lesquelles chez Zara furent toutes de cérémonie, tant
elle était en son for friande de s’encontrer derechef aux alentours de Paris,
mais non chez Gertrude qui s’était prou attachée à mon père et même en la
bénignité de son âme, à Sauveterre, étant toute innocente du trouble qu’elle
avait jeté en son esprit, autant par sa consumation des biens de Mespech que
par ses féminins parfums. J’observai que son œil, sur mon Samson posé, brillait
comme celui d’un aigle emportant agnelet en ses serres, encore que ces
serres-là fussent tendres à la peau laiteuse de mon gentil frère et peu féroces
à sa toison de cuivre. J’augurai, à la voir la narine frémissante, que ce
mariage-là, à peine le pied en Normandie, se ferait à la charge, et au tambour.
— Ha Samson ! dit le baron
de Mespech en lui donnant une forte brassée que je crus ne devoir mie finir, ha
mon fils ! Quand donc vous reverrai-je ?
Il n’en dit pas davantage, mais
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