Le Prince Que Voilà
la
coche et les chevaux évanouis à l’horizon, il se retira avec Sauveterre,
François et moi en la librairie et assis en son grand fauteuil devant le feu
flambant, il mit la main dextre devant sa face, et sans noise pleura. Nous
étions accoisés, et comme saisis de stupeur, tant par sa malenconie que par le
silence songeard de la maison après tant de liesse et de ris que Quéribus et
les dames avaient avec eux apportés, et avec eux ravis.
On toqua à la porte, laquelle
j’allai déclore pour livrer passage à ma grandette petite sœur, Catherine.
Vêtue de bleu azur, un ruban de même couleur nouant ses cheveux d’or, elle
entra dans la pièce de ce pas vif et altier qui me ramentevait ma mère, portant
fort haut la crête comme à l’accoutumée, encore qu’il me semblât que ses yeux
étaient rouges.
— Monsieur mon père, dit-elle
après lui avoir fait une profonde révérence, j’ai trouvé ce billet dans le
corbillon où je mets mes ouvrages, et s’adressant à ma personne, qui suis fille
et en paternelle puissance, il m’apparaît que vous devez le lire.
— Voyons-le donc, dit le baron
de Mespech, non sans quelque gravité.
Et ayant déplié le poulet, il le
lut, la face imperscrutable, puis le tendit à Sauveterre qui, l’ayant lu à son
tour, sourcillant fort, le donna à François qui, l’ayant parcouru d’un air
dédaigneux, sur un signe de mon père me le tendit. Le voici :
« Madame, encore que de la
bouche je vous aie dit adieu, je vous prie que vous me permettiez par cet écrit
de vous baiser les mains comme à ce que j’honore et aime le plus au monde. Et
cela, mes volontés et mes paroles le chanteront très haut et le témoigneront
par toutes preuves.
Les jours me dureront années que
serez de moi absente. Depuis que cette tant benoîte neige a par male heure
fondu, et le sol durci, je vous jure que je n’ai eu de nuit où les yeux m’ont
séché.
Je vous baise les mains cent mille
fois encore.
Quéribus. »
— Catherine, dit enfin mon
père, avez-vous lu ce billet ?
— Vous l’aurais-je porté, si je
ne l’avais lu ? dit Catherine sur un ton de respect quasi impertinent tant
il était outré.
— J’entends bien. Mais que
pensez-vous de ce qu’il dit ?
— Monsieur mon père, dit
Catherine, j’en pense ce que vous me direz qu’il convient que j’en pense.
Et ce disant, elle fit une révérence
plus profonde encore à mon père, lequel fut ébahi que Catherine pût s’incliner
si bas en étant si hautaine et mettre autant de rebéquement muet en sa
contrefaite soumission ; mélange étrange qui embarrassa si fort le baron
de Mespech qu’il eût mille fois préféré, je gage, affronter l’épée à la main
cinq ou six bravàccios qu’en ce pacifique entretien, sa propre fille
dont, en outre, il était raffolé, l’appelant « ma mignonne, mon âme, mon
petit œil », si bien que l’ennemi était déjà dans la place avant même que
d’avoir fait brèche.
— C’est bien, dit-il, prenant
le parti de rompre, retirez-vous, Catherine.
Ce qu’elle fit dans le majestueux
balancement de son vertugadin, l’œil en fleur et le menton levé, me laissant
béant qu’en ses années si tendres elle eût su envelopper tant de défi en un si
grand respect, et laisser percer une si imployable fermeté dans le langage de
l’obéissance.
— Eh bien, dit mon père quand
l’huis se fut sur elle reclos, qu’opinez-vous de tout ceci, mon frère ?
— Qu’il faut rompre incontinent
avec ce traître ! cria Sauveterre, l’œil jetant des flammes.
— Et pourquoi donc ? dit
mon père.
— Pour ce qu’il a forfait aux
lois de l’hospitalité en adressant à la dérobée à la fille de son hôte cette
lettre tant fausse et menteuse.
— Menteuse ? dit mon père
en levant le sourcil. Je la trouve touchante assez. En quoi menteuse ?
— Monsieur mon frère, dit
Sauveterre avec indignation, y a-t-il apparence que Quéribus ait pleuré toutes
les nuits depuis que la neige a fondu ? Qui le croira, sauf pucelle
pucelante ?
— Monsieur mon oncle, dis-je
vivement, Quéribus n’est point menteur, tout le rebours ! Ne prenons pas
la lettre au pied ! « Les yeux ne m’ont séché » est une façon de
dire. On ne parle pas d’autre guise à la Cour depuis Ronsard.
— Quoi ! s’écria
Sauveterre au comble de son ire, Ronsard ! Avez-vous lu Ronsard, mon
neveu ? Cet ennemi juré de notre foi !
— J’ai lu ses
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