Le Prince Que Voilà
image dans un miroir qui, par
bonne chance, lui faisait face. Le président de Neuilly, poursuivit-il, parla
après le Duc, les larmes lui jaillissant des yeux comme à l’accoutumée,
plaidant en même temps et le pour et le contre, sans y voir contradiction.
« — Ha Monseigneur !
dit-il, il faut assurément veiller à vos sûretés, pour ce que votre perte vous
perdrait tous. Cependant, j’opine qu’il faut passer outre aux avis que vous
avez reçus et demeurer céans, à moins que vous ne préfériez prendre le large
pour mieux garder votre vie, laquelle nous est aussi précieuse que les nôtres,
celles-ci étant à elle quasiment suspendues. »
— Voilà qui est peu limpide,
dis-je.
— Le suivant le fut davantage,
dit Venetianelli avec un fin sourire. C’était La Chapelle-Marteau et il enfonça
le clou.
À quoi je souris aussi.
« — Nous n’avons pas lieu
de craindre, dit-il d’une voix rude, étant les plus forts. Cependant, je n’ai
pas fiance au Roi. Il ne faut pas fuir, mais frapper avant.
— A-t-il dit frapper ?
dis-je en levant le sourcil.
— À vrai dire, dit Venetianelli
en envisageant ses belles mains, je ne sais plus s’il a dit « frapper
avant » ou « prévenir ». Vous savez qu’il ouvre à peine la
bouche pour parler, tant il est chiche-face et plaint son souffle.
J’encourageai d’un nouveau sourire
cette petite gausserie, m’apensant que plus le Venetianelli se laisserait
emporter par sa verve, et plus il m’en dirait.
— Quant à Maineville (que le
Roi appelle Maineligue, comme vous savez) il parla comme un furieux, quasiment
les cornes en avant et ayant, de reste, en sa face quelque ressemblance avec un
taureau.
« — Monsieur de Lyon,
dit-il, erre tout à plein en disant que le Roi n’est pas fol. Et que
d’ailleurs, étant plus femelle que mâle, il n’aura pas assez de pointe pour
frapper. Grandissime erreur, Monsieur de Lyon ! Le Roi est fol : Il
frappera sans avoir cure des conséquences. Et quant à la pointe, a-t-il fallu
que la Médicis en ait une pour tuer Coligny ? Et si ladite pointe n’a pas
manqué à sa mère, manquera-t-elle au fils, qui est par elle rejeton de race
florentine, empoisonnante et assassinante. Craignez ces Médicis ! Mon
avis, c’est qu’il ne fait pas bon à lanterner céans. Si l’on ne fuit pas, il
faut agir, et agir avant le Roi. »
— Signor , dis-je, je ne
m’étonne pas que vous soyez comédien, vous êtes à vous seul un théâtre. Votre
scène est si rondement menée et vos acteurs si vivants que j’attends avec
frémissement ce que le Duc va dire.
— Ha ! Monsieur. Vous
serez fort déçu ! dit Venetianelli (qui, se jetant un œil dans le miroir,
ne parut pas, quant à lui, désappointé de sa corporelle enveloppe) le Duc tint
fort mal son rollet. On l’eût voulu tranchant. Il fut vague, évasif et en même
temps bravache :
« — Quand je verrai entrer
la mort par la fenêtre, dit-il, je ne fuirai pas par la porte…» Mais de
décision pas la moindre, ce qui tant impatienta son frère le cardinal qu’il dit
d’un air furieux, son œil noir jetant feux et flammes :
« — Monsieur mon frère,
vous ne faites jamais les choses qu’à demi ! Si vous aviez voulu m’en
croire, on ne serait plus, touchant le Roi, en la peine où nous sommes
aujourd’hui ! »
« — Voilà qui est raison
parler ! dit la Montpensier qui, se levant, boitilla jusqu’à son frère le
cardinal et le baisa sur la bouche. Par la mort Dieu ! poursuivit-elle,
fourrons ce Roi-Reine au couvent sans délayer plus outre ! Monsieur mon
frère, vous lui tiendrez la tête entre vos gambes et moi, avec mes ciseaux
d’or, je lui tondrai le cheveu et lui ferai au centre de son chef sa troisième
couronne… Messieurs, j’opine que le Valois fera un fier moine, étant si
mortifiant, macérant, et jeûnant que le Seigneur tardera peu à le rappeler à
lui…»
« Ce qui fit rire et tant
chatouilla le cardinal que, se dressant, il leva sa coupe majestueusement au
bout de son bras et dit d’une voix forte en regardant le Duc œil à œil :
« — Je bois au futur Roi
de France ! »
— Signor , dis-je au bout
d’un moment, voilà qui est finement conté. Je ne doute pas que les avis des
furieux, à la parfin, prédominent. L’étrange est que le Duc tergiverse encore…
— C’est qu’il se sent si grand,
si fort, si entouré, si aimé par le peuple et si soutenu par les trois
Weitere Kostenlose Bücher