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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Ordres
qu’il se croit invincible – comme l’Armada, dit Venetianelli avec
un sourire. Ou comme Goliath…
    —  Signor , dis-je en
riant, vous ne paraissez pas fort marri d’être par moi contraint de mordre la
main qui vous nourrit.
    — C’est que, dit Venetianelli
en levant haut la crête, elle ne me nourrit pas assis à sa table, mais debout,
à la cuisine, avec les gâte-sauces et les marmitons : ce que je tiens à
grand outrage à mon talent. Le doge à Venise n’en usait pas ainsi avec moi.
    —  Signor , dis-je en le
toquant des deux mains sur le gras des épaules, je ne suis ni le doge ni le
Duc, mais je serais fort honoré, dans les occasions, de vous avoir à ma table,
voyant bien que j’ai affaire à un homme de qualité et qui sert si honorablement
la Muse de la Comédie. Signor , continuez, je vous prie, d’un autre
côtel, à bien servir le Roi et je puis vous assurer que vous en tirerez bien
d’autres avantages que la destruction d’une malencontreuse bambola.
    Là-dessus, je lui baillai une forte
brassée et l’ayant raccompagné à l’escalier je le laissai autant content de moi
que de lui (ce qui n’était pas peu) et je revins à ma chambre m’ôter de la face
tout ensemble mon masque et ma civilité, pour ce que le coquin, à la parfin, me
ragoûtait peu, étant de sac et de corde, à ce que je croyais, et qui pis est,
le mignon d’une maquerelle.
    Je le dis à Miroul qui, les
courtines tirées, saillait du lit avec son écritoire.
    — Certes, Moussu, dit Miroul,
mais il est aussi fort divertissant, mimant au vif la bassesse de ces hauts
personnages dont notre heur et malheur dépendent. Et n’est-il pas extravagant
que ce petit vermisseau de Venetianelli introduise dans les rouages de ces
grandes intrigues cet infiniment petitime grain de sable qui va, se peut, faire
basculer l’histoire. Son récit est un baril de poudre. Et qui croyez-vous qui
sautera ?
    — Ha ! dis-je, le
quiers-tu ? Je ne sais s’il est bien décent de prier le Seigneur pour mort
d’homme, mais sanguienne, je l’en prie !
    Je passai alors avec mon gentil
Miroul deux grosses heures, colligeant ses notes et mes propres souvenirs, afin
que de mettre verbatim [84] par écrit tout ce que Venetianelli avait dit, sans rien perdre du suc, de la
substance et de la verve de son remarquable récit.
     
     
    Cela fait, j’eusse voulu courir tout
de gob au château maugré l’épaisse et pluvieuse nuit, mais hélas, je ne le
pouvais sans les quarante-cinq, au milieu desquels je me devais, d’ordre
du Roi, constamment cacher, tant est qu’il me fallut attendre le matin et comme
on l’imagine très peu m’ensommeiller en cette interminable nuit, me tournant et
retournant sur ma coite et écoutant les ronflements de La Bastide et de
Montseris et aussi leurs jurements, parce qu’ils juraient même en dormant, en
particulier, La Bastide qui rêvait toutes les nuits que les quarante-cinq étaient cassés par Guise et les États, et qu’il devait chercher condition.
    Laugnac m’ayant fort tôt le
lendemain matin annoncé à l’huissier (qui était ce jour-là M. de Nambu),
Nambu m’annonça à Du Halde, lequel me vint trouver dans le cabinet vieil et me
dit, comme je lui demandai de prime comment allait le Roi :
    — L’hiver, Baron, ne lui
réussit pas. Combien qu’il soit fort aisé à servir en tout autre temps, par
mauvais temps il devient quasi insufférable. Dès que le ciel s’enténèbre, il
s’assombrit. Il gronde, lorsqu’il vente. À peu qu’il ne pleure, quand il pleut.
Gèle-t-il ? Il se roidit. Ne lui parlez plus alors de plaisirs ! Il
vit comme un anachorète en cellule, veille tard, dort peu, se lève tôt,
travaille de l’aube au couchant, tue au labour les quatre secrétaires d’État,
épuise le chancelier, ne passe plus rien à personne, dénonce (lui !) les
dépenses excessives, et devient, en un mot, immensément tatillon, tracasseux,
sourcillant, suspicionneux, encoléré, amer – le monde entier, lui
semble-t-il, complotant contre lui et même la pluie le trahissant !
    — Ha ! m’apensai-je, comme
Du Halde m’introduisait dans la chambre du Roi, ce que Sa Majesté va ouïr de ma
bouche et lire de ma plume, ne va guère le curer de sa bile et de ses noires
humeurs !
    Le Roi était debout au fond de la
chambre à se chauffer à un maigre feu, et je vis bien au pli profond entre ses
sourcils et aux commissures rabattues de ses lèvres que Du Halde

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