Le Prince Que Voilà
attends
que je te rejoigne avec quelques amis sûrs, le Conseil terminé. Aussi bien,
poursuivit-il, en me présentant la main avec un sourire de la moitié du bec,
toi, mon fils, qui as l’esprit si vif, trouve un moyen de faire cesser cette
interminable pluie. Par la Sainte Brume, j’en vais crever !
Il était midi bien passé, et le
Conseil du Roi de longtemps fini, quand je vis, un à un, arriver en le petit
logis du fond du parc « les amis sûrs » du Roi : François d’O,
Rambouillet, le grand écuyer Bellegarde, Alphonse d’Ornano dit le Corse, le
maréchal d’Aumont, le secrétaire d’État Revol, le garde des Sceaux Montholon,
et enfin le Roi lui-même, avec Du Halde, tâchant de le garantir contre une
pluie diluvienne par un ombrello à l’italienne, si petit qu’il lui
chargeait plus le bras qu’il ne protégeait le chef du Roi. Tant est que
l’aigrette que Sa Majesté portait au centre de son escoffion en fut si
piteusement mouillée que les plumes en restèrent collées. Bellegarde, à
l’entrée de la salle, le lui fit remarquer et le Roi ôtant alors de sa tête
ledit bonnet, le tendit à Du Halde, en lui quérant de le mettre devant le feu
pour essayer de redonner du lustre au plumet, mais sans pour autant le brûler.
Tous les assistants observèrent comme moi l’excessive fâcherie du Roi à cet
incident, maugré qu’il eût alors bien d’autres motifs, et plus graves, de
contrariété. Cependant, comme le feu flambait haut et clair et que la petite
pièce était douillette et bien éclairée de chandelles (le noir de poix du ciel
les rendant nécessaires), l’humeur du Roi, par degrés, s’éclaira et il dit en
gaussant que mieux valait un chaud petit logis où l’on fût bien chez soi qu’un
grand château froidureux où traînaient des oreilles.
Pour moi, ne sachant point si
j’étais invité à assister à ce Conseil, je me retirais de la salle, quand le
Roi, m’apercevant, me dit de demeurer et que mon témoignage lui serait à
besoin. Sur quoi s’asseyant, le dos au feu, le Roi se fit apporter par Revol un
petit portefeuille en cuir dont il tira trois ou quatre papiers qu’il tint sur
ses genoux, et qu’il cita, ou lut, pour appuyer ses dires, lesquels papiers
étaient les preuves qui, dit-il, l’avaient convaincu de la rébellion du Duc de
Guise, de sa félonie, de sa connivence avec l’étranger, et de son permanent
complot pour attenter contre sa personne royale.
Touchant ledit attentement, il lut
un billet du Duc de Guise, de sa main signé, et daté du jour des barricades où
le Duc disait à son correspondant qu’il tenait le « Louvre investi de
si près qu’il rendrait bien compte de ce qui était dedans. »
— Ce qui était dedans,
Messieurs, dit le Roi en souriant d’un seul côté de la face, c’était moi.
Il tendit alors le billet à Du
Halde, pour qu’il le portât aux assistants, et continuant du ton le plus uni
son réquisitoire, il dit qu’il avait la preuve que le Duc sollicitait des
pécunes d’un Prince étranger, afin que de nourrir ses entreprises contre son
Roi, et pour preuve il produisit le brouillon de la lettre que Guise avait
écrite à Philippe II et que j’avais été heureux assez pour rober à la
Montpensier. Le maréchal d’Aumont voulant alors savoir comment je m’y étais
pris, le Roi me quit de le dire, ce qui ne laissa pas, comme bien on pense, de
me donner quelque vergogne, mais Sa Majesté me pressant, je consentis à la
parfin à en faire le récit, qui fit sourire, et en particulier le maréchal
d’Aumont, lequel était un vrai vieux Français à l’ancienne mode, fort amoureux
de sa patrie et de son Roi, et me dit, mi-gaussant mi-grave, qu’il n’était pas
d’extrémité à laquelle un sujet ne fût en conscience obligé pour servir son
souverain.
Le Roi dénonça alors le complot de
la Ligue et des États pour le réduire à quia, et quasi à la mendicité, en lui
refusant tout argent, et connivent à ce complot, celui des Guise pour s’emparer
de sa personne. À l’appui de ce dire, il lut le récit de Venetianelli, tel que
je l’avais par écrit couché, lequel produisit grand effet, mais moindre
toutefois que celui que je créai, en sortant de mes chausses la poupée envoûtée
que j’avais saisie dans le corbillon à chiffons de la cavalletta. Je le
fis pour répondre à François d’O, qui voulait savoir de moi comment j’avais
pris barre sur le comédien, et le Roi en fut le premier
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