Le Prince Que Voilà
étonné, pour ce que je
n’avais pas eu le temps de montrer le matin à Sa Majesté la magique bambola, par laquelle, à distance, on escomptait l’occire.
Le Roi dit encore qu’il s’était fort
ressenti de l’injure que lui avait faite un princerot comme le Duc de Savoie
qui, en octobre, s’était par la force saisi du marquisat de Saluces, l’ultime
possession française en Italie, et qu’il n’y avait pas à douter, étant donné
les liens du Duc de Savoie et du Duc de Guise, que le premier ne s’y serait pas
risqué sans l’assentiment du second, lequel avait, se peut, barguigné le
marquisat de Saluces contre des monnaies ou des hommes pour faire la guerre à
son Roi.
— Messieurs, dit Henri, la
chose est claire et je vous ai accointés de toutes les preuves qui la
démontrent et rendent tout à fait certain et assuré que M. de Guise fait état
de s’emparer du royaume après en avoir abattu les colonnes. Eh bien, Messieurs,
vous qui êtes de ces colonnes et des plus fermes, desquelles la chute
précéderait ou suivrait de peu la mienne, que me conseillez-vous en ce
prédicament ?
Ce disant, il se tourna vers le
garde des Sceaux Montholon, lequel était avec Revol un des ministres
nouvellement promus après le renvoi des créatures de la Reine-mère, et
assurément un fort honnête homme, et fort fidèle au Roi, mais dont les yeux
ronds dans une face ronde ne trahissaient pas la plus petite étincelle d’esprit
ou de talent.
— Sire, dit Montholon, j’opine
que dans cet état des affaires si embarrassées et enveloppées de craintes, et
la main de M. de Guise y étant pour beaucoup, il conviendrait de l’arrêter et
de lui faire son procès.
— Rambouillet ? dit le
Roi, la face imperscrutable.
— Ma foi, Sire, dit
Rambouillet, je suis de l’avis de Montholon.
— Revol ? dit le Roi.
Le secrétaire d’État Revol était
autant homme de robe que Montholon, et on eût pu s’attendre à ce qu’il
acquiesçât à la proposition du garde des Sceaux, d’autant que son aspect
estéquit, malingre et timoré paraissait l’y prédisposer, étant de taille fort
chétive et le visage long, maigre et si blanc qu’on aurait dit qu’il le passait
à la craie. Tant est qu’il créa une considérable surprise en disant d’une voix
douce et timide :
— Sire, si vous arrêtez M. de
Guise, où trouverez-vous le lieu, les juges et les témoins pour lui faire son
procès ? Caton, le plus sage des Romains, disait qu’il fallait plutôt
frapper le traître à la patrie que de consulter, l’ayant pris, si on le devait
faire mourir, pour cette raison que lorsque l’État est en péril, il faut que la
peine précède le jugement.
— D’Aumont ? dit le Roi.
— Sire, dit le maréchal d’une
voix rude, nous serons déshonorés, et nos épées aussi, si nous continuons à
subir un jour de plus les avanies de ce traître ! Tant plus nous ployons,
tant plus il nous met le pied sur le ventre ! Foin du procès !
S’agissant d’un crime de lèse-majesté, une prompte mort est le seul
châtiment !
— François d’O ? dit le
Roi.
— Sire, dit François d’O, je
suis de cet avis.
— Bellegarde ?
— Sire, d’Aumont a parlé d’or.
— Mon Corse ? (désignant
par là d’Ornano).
— Sire, comme dit Revol, il
faut que la peine précède le jugement.
— Je le crois aussi, dit le Roi
après un moment de silence, pour ce que j’en ai débattu longtemps en mon for,
trouvant le procès tout à plein impossible dans l’état de faiblesse où me
voilà. Et cependant, ne pouvant me résoudre à la solution que vous avez dite,
tant j’abhorre le sang. Mais je me suis à la parfin apensé que mon archi-ennemi
poussant sa pointe toujours plus outre, sa plus longue vie serait ma mort,
celle de tous mes amis et la ruine de mon royaume. Le Guisard est trop fort
pour qu’on le puisse arrêter et juger. Le mettre en prison serait tirer un
sanglier aux filets, lequel se trouverait possible plus puissant que nos
cordes.
— Sire, dit Rambouillet,
lequel, sans être du tout courtisan, nourrissait pour le Roi une admiration
sans limites et une affection tant naïve que sincère, si vous n’êtes pas de mon
avis, c’est qu’il doit être mauvais. Je me range donc au vôtre.
Ce qui fit sourire et tourner les
yeux vers Montholon, lequel, cependant, se tut, ayant en lui cette obstination
des sottards et des mules, qui le faisait persévérer dans un chemin erroné pour
la
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