Le Prince Que Voilà
pensement.
— Et vous n’êtes point non plus
si bien attifuré, poursuivit-elle avec le dernier sérieux, pour ce que vous
n’avez qu’un seul pourpoint à la mode qui trotte en Paris, et celui-là même, ne
le tenant que de lui.
— C’est que je ne suis point
tant riche, dis-je, souriant toujours et comme bien on pense, prodigieusement
gaudi et réjoui par le tour de cette jaserie.
— En effet, dit-elle avec
gravité.
— Je ne suis pas baron non
plus.
— Assurément, dit-elle, vous ne
l’êtes point et ne le serez jamais. Cependant, ajouta-t-elle après s’être
quelque peu sur soi-même réfléchie, je vous aimerai toujours, mon Pierre, tout
cadet impécunieux que vous soyez, et de surcroît médecin.
— Madame, dis-je en la saluant,
je vous sais un gré infini de vos bonnes dispositions.
À quoi elle se réveilla enfin du
beau milieu de ses songes et dit en tapant du pied :
— Ha ! Pierre ! Vous
vous gaussez encore !
— Ho ! Que nenni !
dis-je, et je vous jure, pour ma part, que je vous aimerai tout autant qu’à ce
jour d’hui quand vous serez baronne.
— Serai-je baronne ?
dit-elle, l’œil en fleur. Ce n’est point, poursuivit-elle avec un retour à sa
coutumière hautesse, qu’un titre m’éblouisse, Mespech étant ce qu’il est et
notre mère, de si ancienne souche. Mais le baron est tant aimable ! Mon
Pierre, peux-je vous poutouner le bonsoir ?
— Me le devez-vous
quérir ? dis-je en souriant.
Mais au lieu que de me baisotter,
elle me mit les deux bras autour de la taille et posant sur mon épaule sa
mignonne tête, laquelle était à l’entour auréolée des beaux et blonds cheveux
qu’elle avait pour la nuit dénattés, elle demeura là un moment, toute rêveuse
et songearde, la paupière mi-close sur son œil bleu pervenche et la lèvre
entrouverte.
— Allons ! dit-elle avec
un soupir, il faut s’aller coucher. Pierre ces méchants Polonais ne vont-ils
point occire notre gentil nouveau Roi, s’ils le rattrapent sur le chemin de
France ?
— Y êtes-vous apensée !
Porter la main sur la personne d’un Roi !
— Ou sur ceux de sa
suite ?
— Pas davantage. Allez,
Catherine, dormir, quiète, en votre couche ! Le baron sera céans à la
mi-août, je vous le gage sur mon bonnet de docteur. Et qui pourrait-il marier
d’autre que vous, qui êtes tant plus belle qu’aucune fille de baron en
France ?
À quoi elle me sourit de façon fort
candide et confiante, une petite moue de contentement sur sa suave lèvre et
quasi sommeillante jà, étant mi-enfant encore, mais femme pourtant tout à
plein, ces choses-là se gaussant de nos arithmétiques.
Ainsi commença pour Catherine une
longue attente qui chemina parallèlement à la mienne, chacun de nous ayant un
objet différent. N’est-ce pas émerveillable, quand on y songe, que le tissu de
notre présent ne soit fait que de notre futur, soit que nous y ayons un ardent
appétit, soit que nous l’appréhendions. Et n’est-ce pas une bien grande folie
et déraison de ne point vivre à plein les jours qui coulent en notre vie si
brève, par l’espérance ou la crainte que nous entretenons de l’avenir ?
Ma pauvre Gavachette n’en était plus
à rêver au bonheur éternel de gloire et d’apparessement que lui eût donné en
Mespech un fils de ma greffe. Elle luttait contre la mort, qui la voulait de ce
monde ravir, et quand enfin elle en triompha, et se leva sans fièvre de sa
coite, elle était tant maigre, chancelante et pâle, toute charnure évanouie,
toute couleur sur sa face effacée et la peau tant resserrée sur les os qu’à peu
qu’elle ne parût être son propre fantôme. À telle enseigne que la Maligou, la
voyant surgir au premier matin de son lever en sa souillarde, s’écria d’une
voix blèze et l’œil terrifié :
— Ha ! Pauvre âme !
Que me viens-tu céans tourmenter ? T’ai-je en rien nui de ton
vivant ?
La Gavachette vivait, cependant,
mais d’une vie étique, gloutissant prou, profitant peu, hagarde, lente en son
mouvoir, distante de ses alentours, n’ouvrant le bec qu’à l’occasion, la voix
ténue, la parole rare et quasiment bénigne, comme si son intempérie lui eût ôté
la force de sécréter son coutumier venin. Elle m’eût voulu de retour
incontinent dans sa chambre pour y reprendre notre commerce, mais je m’y
refusai, arguant qu’elle était trop atténuée pour le branle de ces
mignonneries, mais le vrai est que mon appétit
Weitere Kostenlose Bücher