Le Prince Que Voilà
que l’âme, la tendresse, la
largesse et l’humaine considération, quand le prime propos du mari est
d’apporter à son épouse, en surseoyant, s’il le faut, à la sienne, la délice
qu’il y aurait quelque basse chicheté à lui rogner, considérant que le Créateur
la lui a accordée, en compensation du pâtiment de la grossesse, alors même que
nous donnant en portion un plaisir égal, il nous a tenu quitte de ces
incommodités.
Nous étions en Barbentane depuis
deux mois déjà, M. de Montcalm mettant quelque nonchalance à ses préparatifs,
quand mon père me manda un soir par Fröhlich (lequel s’était à lui fort attaché
et lui servait de valet) d’avoir à le venir trouver en son appartement. Ce que
faisant, et ébaudi assez d’en voir saillir, comme j’y pénétrais, une vive et
frisquette friponne de chambrière qu’on appelait Jeannotte, et à qui il ne
m’avait pas échappé que Jean de Siorac avait, depuis peu, donné le bel œil, je
fus surpris de trouver à mon père l’air plus mal’engroin que je ne m’y serais
attendu, étant donné l’aimable compagnie dont il venait d’avoir l’usance.
— Monsieur mon père, dis-je
avec un souris, qu’est cela ? Pourquoi tant de sourcil ? Jeannotte
vous aura-t-elle fâché ?
— Nenni ! dit-il. La Dieu
merci, la mignote est complaisante assez. Mais j’ai, hélas, d’autres avoines à
mâcheller, et plus amères. Tenez, lisez cette lettre de François que je reçois
dans l’heure.
Et me la tendant du bout des doigts,
non sans quelque déprisement, il se jeta sur un fauteuil, croisa avec
impatience une gambe sur l’autre, et le front plissé, m’envisagea d’une
prunelle perçante, tandis que je lisais le poulet de mon aîné :
« Monsieur mon père,
« Il n’y a rien à vous
mander que de bon sur Mespech, tous, bêtes et gens, se portant à merveille et
moi-même ménageant la châtellenie dans le respect de vos commandements. Je
suis, toutefois, au regret de vous annoncer que je me suis à la parfin converti
à la religion catholique, apostolique et romaine, n’y ayant pas d’autre moyen
pour moi de marier ma Diane, ni de ménager son domaine à compte et demi avec
Puymartin, ni d’hériter du titre de baron de Fontenac au premier enfant mâle
qu’elle me baillera.
Monseigneur l’Évêque de Sarlat a
voulu donner à ma conversion un particulier éclat, la célébrant en la
cathédrale. Et m’étant bien apensé que cette circonstance vous serait à dol et
fâcherie, si vous étiez lors en Mespech, j’ai préféré me soumettre à cette
épreuve en votre absence et vous supplie instantement de ne pas m’en garder
mauvaise dent, ne désirant rien tant que votre affection, et vous protestant
que je serai jusqu’à la fin des temps.
De tout cœur votre très humble,
obéissant et dévoué serviteur.
François de Siorac. »
— Eh bien, dit mon père, qu’en
êtes-vous apensé ?
À quoi je fus dans l’embarras,
n’ayant point goûté le ton gourmé de cette lettre si correcte, mais ne voulant
point charger mon aîné (encore que je l’aimasse peu) pour ce que je n’étais pas
sans quelque sympathie pour ses raisons.
— Ce que j’en pense ?
dis-je.
— Oui-dà !
— Que je ne sais pas ce que
j’eusse fait moi-même, si j’avais été en tel prédicament que François, l’évêque
de Sarlat n’étant point tant accommodant que le Père Anselme.
— Je vais vous le dire,
Pierre ! dit le baron de Mespech : vous m’eussiez consulté avant.
— Assurément. Mais François est
François : il n’aura pas osé s’affronter à vous.
— En bref, c’est un
couard ! cria mon père en se levant, et le sourcil sur les yeux, il marcha
qui-cy qui-là dans la pièce. Et qui pis est, reprit-il à la fureur, un couard
catholique !
— Non point couard, dis-je. Si
un jour on s’en prend à son bien, François se battra bec et ongles.
— Ha ! Ne le défendez
pas ! cria mon père tout soudain ivre de rage. Ce chattemite savait bien,
avant même mon département de Mespech, qu’il allait retourner jaquette, et il
ne m’a rien dit ! Et le voilà qui m’assure dans ce poulet qu’il « ne
désire rien tant que mon affection » ! Et « de tout cœur » !
Mais, cornedebœuf ! Eût-il osé changer de camp, Sauveterre étant vif
encore et dans nos murs ? Ha ! mon Pierre, j’enrage dans le pensement
que la huguenoterie de Mespech n’aura duré que l’espace de
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