Le Prince Que Voilà
ma brève vie, le
deuxième baron de Mespech retournant à la foi catholique comme le chien à son
vomissement, et tous mes petits-enfants – tous ! Les fils et filles
de François ! de Samson ! de Catherine ! et de
vous ! – étant élevés et abreuvés dès leurs maillots et enfances au
lait impur des idolâtries papistes !
À cela, je m’accoisai un petit et
allai jeter un œil par la fenêtre au jour finissant sur les pechs pierreux de
Provence (laquelle pour être, à sa manière, aimable et lumineuse, n’est point
tant verte que notre Périgord) et ne sachant au demeurant que dire, entendant
bien l’immense dol de mon père à voir son culte par degrés déserté par ses
descendants, et moi-même étant de ceux-là.
— Ha mon père, dis-je à la
parfin et m’étant sur moi réfléchi, pardonnez à François : sa conversion
n’est point par la male heure la sienne, mais une parmi d’innumérables depuis
le 24 août. C’est là l’après-moisson de la Saint-Barthélemy : parmi
tant d’épis couchés et foulés par l’orage, il n’est plus pour les prêtres que
de glaner. Péril de mort est là. Vous-même, pour désarmer l’évêché de Sarlat
avez consenti le don gracieux d’une terre aux capucins de la bonne ville et
invité Pincettes à dire messe en Mespech pour vos hôtes papistes. Moi-même,
Monsieur mon père, j’ai baillé un écu audit Pincettes pour redorer une idole,
et à mon âme et corps bien défendant, j’ois la messe tous les jours céans,
étant de force forcée un Janus à double face, une face catholique et une face
huguenote, ou si l’on veut, un de ces marranes de Montpellier qui professent le
papisme du bout des lèvres, lesquelles restent scellées sur le judaïsme qui
fait battre leur cœur.
— Cependant, dit mon père avec
douleur, vous oyez la messe !
— Je l’ois, dis-je avec un
souris, mais comme dit le dicton, une oreille aux champs et l’autre à la ville,
étranger en mon for aux errements du culte romain.
— Vous, mon Pierre ! mais
vos fils ! dit Jean de Siorac, non sans quelque tendresse qui lui fit les
yeux embuer, tandis que me venant jeter le bras par-dessus l’épaule, il me
serrait à soi. Mais, reprit-il, vos fils ! Vos petits-fils !
— Je prendrai garde qu’ils
sachent très exactement de ma bouche les inouïes persécutions que nous avons
souffertes des mains des prêtres. Et qui sait si d’aucuns de notre chair, les
temps devenant plus doux aux nôtres, ne retourneront pas à la pureté de notre
foi ?
— Cependant, mon Pierre, dit le
baron de Mespech en m’aguignant du coin de l’œil, il m’apparaît que de mes
quatre enfants, vous êtes, se peut, le moins zélé sur le point de la religion.
D’où cela vient-il ?
— De ce que je tiens le zèle en
grande détestation, en ayant vu les néfastes effets en Nismes et en Paris.
Mais, Monsieur mon père, poursuivis-je, ne voulant pas là-dessus me mettre avec
lui en débat, plaise à vous de me laisser présentement me retirer : j’ai
promis à mon Angelina de l’aider à choisir entre deux vêtures pour le souper du
soir, lesquelles l’espèrent, sur son lit déployées.
— Ha ! Ne délayez pas plus
outre ! dit mon père en riant. C’est chose de conséquence que les
affiquets d’une femme, par quoi elle s’adorne pour se plaire et nous plaire.
N’était que ce gentil sexe y prenne tant de soins, où serait la place de la
beauté en notre quotidienne vie ?
Il fallut bien pourtant quitter un
jour cet homme excellent et départant pour Paris, le laisser retourner dans son
Périgord pour y vivre à Mespech en sa double solitude : celle d’un père
délaissé des siens et celle de sa foi, la seconde le poignant tout autant que
la première, le propos de mon père, quand il avait été anobli, n’étant point
seulement de fonder châtellenie et famille, mais d’être le premier chaînon
d’une lignée huguenote qui aurait pu joindre à la prospérité de son domaine la
vérité d’un credo purifié.
Que de larmes furent versées à son
département, et par ma petite sœur Catherine, tout énamourée qu’elle fût de son
Quéribus (avec qui ne touchant plus terre, elle courait d’un pied léger sur les
nuages dorés du bonheur le plus fol) et par mon Angelina, dont la coutumière
bénignité avait deviné le pâtiment du baron de Mespech à cette âpre séparation,
et dois-je le dire enfin sans honte ni vergogne, par moi-même qui le
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