Le Prince Que Voilà
chérissais
d’autant que, fait de si bon et pur métal, il n’était pas sans de certaines
faiblesses qui me le rendaient proche.
Je me ramentus quelques années plus
tard de la désolation rongeante de mon père à voir la délitescence de son
huguenoterie, quand étant à messe avec le Roi en la chapelle de l’hôtel de
Bourbon (lequel faisait face au guichet du Louvre) j’observai deux seigneurs
qui étaient entrés en sa suite, lesquels me parurent ouïr le service romain
d’une oreille triste et rechignée, et comme si ce qu’ils écoutaient leur
restait fort au travers de l’estomac. Et Fogacer étant lors à mon côtel et son
œil vif captant la direction du mien, il me sourit d’un air fort entendu, mais
sans mot piper. Quelques instants plus tard, m’encontrant avec lui dans la
salle des cariatides, (attendant que le Roi nous fît appeler) et adossés à une
des gigantesques féminines statues sculptées par Jean Goujon, Fogacer quérant
de moi si, tout grand coureur de cotillon que je fusse, je ne serais pas
décontenancé par la géantine stature de ces mignotes, à supposer qu’elles
s’éveillassent soudain à la vie, la pierre devenant chair, et moi répliquant en
riant que nenni, ajoutant en anglais (pour ce qu’alors je m’appliquais
diligemment à l’étude de cette langue) : « You can’t have too much
of a good thing [16] ! , il me revint, je ne sais pourquoi à l’esprit, au milieu de ce badinage, la
physionomie grave, attristée et rebelute des deux seigneurs que j’avais vus à
messe en l’hôtel de Bourbon, et je demandai incontinent à Fogacer (qui savait
toujours tout sur tous) quels ils étaient, ne les ayant point vus à la Cour
avant ce jour. Il me dit leurs noms (qu’il n’est pas dans mon propos de répéter
ici) et ajouta sotto voce, pour ce que nous avions alors en nos
alentours une foule bigarrée de courtisans et de gardes en allées et venues
incessantes :
— Ce sont comme vous, mi f i li, des catholiques de façade, j’entends des huguenots de cœur qui viennent
d’arriver céans et auxquels le Roi a demandé de caler la voile, s’ils
voulaient le servir.
— Caler la voile ? dis-je.
Qu’est cela ?
— C’est un terme des gens de
mer dont Sa Majesté, qui a appris depuis peu le mot, aime user. Il veut dire
qu’on diminue la voilure, le ciel devenant venteux et tracasseux.
— Et certes, Dieu sait s’il
l’est !
— Et assurément Dieu
sait s’il l’est ! reprit Fogacer avec un souris. Mi fili, à quoi
vous sert d’ouïr la messe si vous vous trahissez par un
« certes » ?
À quoi il ajouta en gaussant :
— « Certes !
Certes ! » dit le huguenot, pour ce qu’il est l’homme des
certitudes !
— Et point les papistes ?
— Les papistes sont zélés. Mais
à ce que j’opine, bien peu d’entre eux, en ce siècle, mourraient sur un bûcher
pour prouver leur foi.
— Le Roi mourrait-il pour sa
foi ?
— Monsieur le Chevalier, dit
Fogacer (qui me donna ce titre, Sa Majesté, une semaine plus tôt, me l’ayant
conféré, ainsi qu’une petite seigneurie en Montfort-l’Amaury dite du Chêne
Rogneux), ne dites pas « le Roi ». Dites : Henri. De cette
façon, si quelque malintentionné surprend votre propos, il ne saura si vous
parlez d’Henri de Guise, d’Henri de Navarre ou du Roi – lequel les
méchants becs en Paris appellent – le savez-vous ? – Henri le
troisième, pour ce que les deux premiers lui rognent son royaume.
— Parole sale et fâcheuse,
dis-je à voix basse, et que vous ne devriez répéter.
— C’est que j’ai moi aussi
méchant bec, dit Fogacer en arquant son sourcil diabolique, quoique le cœur
soit bon et à Henri fidèle.
— Vous ne m’avez point répondu,
repris-je, Révérend Docteur Sait Tout, sur le point de la religion de notre
Henri ?
— C’est que le point est
débattable ! Henri aime les moines, le couvent, la bure. Il pèlerine. Il
fait retraite. Il processionne.
— Je sais tout cela. En outre,
vêtu du sac du pénitent, la taille ceinte de sa ceinture de têtes de mort…
— Il se donne le fouet. Mais
savez-vous pourquoi ? poursuivit Fogacer, l’œil luisant. C’est qu’il a
grand appétit à se nettoyer la conscience, laquelle, une fois nette, il macule
derechef par les plaisirs que l’on sait.
— Méchant bec,
taisez-vous ! Répondez : Henri mourrait-il pour sa foi ?
— Il mourrait plutôt de la foi
des autres, l’Église
Weitere Kostenlose Bücher