Le Prince Que Voilà
était) qui n’aiment pas « entendre gémir un lièvre sous
les dents des chiens ».
Au rebours dudit Charles IX, de
Guise et de Navarre, il n’aimait guère non plus le jeu de paume, pour ce qu’il
trouvait, à ce que je crois, indigne de sa grandeur de se produire devant la
Cour en chemise et une raquette ès poing. Mais en revanche il était fort
raffolé du noble art de l’escrime, et grâce aux leçons du grand Silvie (qu’il avait
fait chevalier) et grâce aussi à une perpétuelle application, il tirait avec
beaucoup de finesse, tant est que bien peu de gentilshommes en ce royaume le
valaient, l’épée en main.
Qui l’eût envisagé en cet exercice,
comme je fis plus d’une fois, n’eût pu assurément prétendre qu’il était mol,
faible ou égrotant, car il s’y adonnait à la fureur, et sans désemparer,
soufflant, suant, mais non lassé. Et quant à moi, je peux mieux qu’un autre
testifier de la robusteté du Roi, l’ayant, comme j’ai dit déjà, accompagné en
son pèlerinage de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de Chartres, long chemin
qu’il parcourut à beau pied en deux jours, après quoi, s’étant reposé à
Chartres un jour et une nuit, il refit de Chartres à Paris la même interminable
marche en deux jours aussi, sans souffrir d’autres incommodités que des pieds
ampoulés, et aussi quelques pâtiments d’estomac pour avoir excessivement mangé
à l’étape.
Étrange déportement pour un moribond
que d’user ses semelles sur les cailloux des routes et de s’emplir la panse au
gîte ! Car encore qu’il ne bût guère que de l’eau, Henri gloutissait comme
ogre – et jusqu’à deux chapons à la queue l’un de l’autre – n’étant
pas homme, comme veut le dicton, à tourner le cul à la mangeoire, et pas
davantage à table que sur le champ de bataille.
Il est vrai qu’à ce régime, il avait
sur ses trente ans pris quelque embonpoint, mais s’entretenant un jour en toute
familiarité avec Monsieur de Thou, premier président du Parlement, lequel était
vieil mais bien allant, et lui demandant le secret de son émerveillable
verdeur, de Thou lui répondit qu’ayant un bon tempérament, il avait pris soin
de le garder tel, en menant une vie égale, mangeant dormant, se réveillant à la
même heure, usant des mêmes aliments et ne faisant jamais d’excès. Réflexion
qui tant frappa Henri que, de ce temps, il ne fit plus que deux repas par jour
et ne mangea plus qu’un chapon au lieu de deux. Ce dont il se trouva bien.
J’oserais dire, après tout ceci, que
la véritable intempérie dont souffrait mon bon maître et souverain, se trouvait
enracinée non point dans son corps mais dans son âme, que la persécution la
plus âpre et la plus continue avait durement meurtrie et mutilée. Car étant de
son humeur infiniment magnanime et poussant cette rare vertu au point de pardonner
ceux qui du haut des chaires sacrées le traînaient dans la boue, Henri
Troisième n’aspirait qu’à paix garder pour ses sujets, ne croyant pas qu’on pût
vaincre l’hérésie par le couteau, et cependant, n’encontrait chez lesdits
sujets, qu’ils fussent romains ou huguenots, que la plus impiteuse exécration.
Ha, lecteur ! Que cesse enfin dans la suite des siècles la criante
injustice dont le détestable esprit de parti accabla mon pauvre maître de son
vivant ! Ce sera, assurément, pour nos fils et nos petits-fils un sujet
d’effarement que d’observer à quels inouïs excès le zèle religieux portait
alors les esprits et combien la vérité la plus manifeste était perpétuellement
méconnue !
Henri était tant laborieux qu’il
passait des heures en son conseil et dans son cabinet, mais il ne pouvait qu’il
ne se récréât sans qu’on criât qu’il s’apparessait. Apprenait-il le latin, les
méchants becs disaient qu’il « déclinait ». De son naturel et
de son habitus il était fort pieux : on le prétendait ennemi secret de
l’Église, fauteur d’hérétiques, suppôt du diable, que sais-je encore ?
Trop vaillant pour hurler avec les loups, il montrait une émerveillable
constance à servir l’État selon ses vues : on le traitait de couard. Sa
volonté, regardant les grands principes du gouvernement, et nommément celui de
sa succession, resta jusqu’à la fin inébranlable : on la disait faible et
vacillante. Enfin, – comme j’ai dit déjà, et comme jamais ne le répéterai
assez – de par sa complexion et sa réflexion,
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