Le Prince Que Voilà
aventure, je pris soin
de la lui conter le plus élégamment que je pus, sachant combien Henri était
amoureux de beau langage, ayant étudié avec le savant Pibrac l’éloquence et
l’élocution et étant renommé urbi et orbi pour son « parler
exquis ».
— Monsieur de Siorac, dit-il
quand j’eus fini, voilà qui est bien dit et bien fait. Vous fûtes humain de
recueillir Mundane et sage d’en avertir Lord Stafford par d’indirectes voies.
La sauvegarde et sûreté de ma bien-aimée cousine, la Reine Elizabeth, nous
tient d’autant à cœur que si sa personne et son royaume venaient à succomber
aux coups de l’étranger, les nôtres en seraient infiniment vulnérés. Comme vous
savez, le Prince d’Orange, la Reine Elizabeth et moi, encore que nous soyons de
cultes différents, le Prince étant réformé, la Reine anglicane et moi-même catholique,
nous avons les mêmes ennemis, lesquels couvrent fallacieusement leurs desseins
du manteau de la religion.
— Lequel manteau est troué, dit
Chicot, pour laisser passer les dagues des assassins.
— Bien dit Chicot, dit le Roi
avec un rire tant bref et rauque qu’il parut avoir peine à passer le nœud de sa
gorge. Monsieur de Siorac, reprit-il après s’être sur soi un petit réfléchi,
j’aimerais vous présenter une requête.
— Une requête, Sire, de vous à
moi ! Sire, commandez !
— Que nenni. Je ne veux tenir
que de votre bon vouloir votre acquiescement à mon projet, sachant bien qu’il
n’a rien à voir avec votre état de médecin, et qu’il ne laissera pas, de reste,
de vous mettre en grand péril.
— Sire, raison de plus !
— Henri, dit Chicot, tu l’as
ouï. Monsieur de la Saignée est prêt à se saigner pour toi. Talis pater
qualis filius [26] .
— Fils, dit le Roi, tu as
raison. Et bien je me ramentois que le baron de Mespech a bien servi mon
grand-père à Cérisoles et mon père à Calais.
— Henricus, dit Chicot, je ne
suis pas ton fils. Je ne le suis, ni ne veux l’être : Tu n’as enfanté que
des ingrats.
— Sauf un, dit le Roi.
Et je me demandai à cette sibylline
parole qui des deux archimignons était l’ingrat, et l’autre l’ami fidèle,
lequel, à y penser plus outre, me parut devoir être d’Épernon, ce que la suite
de cet entretien confirma de la plus éclatante façon.
— Monsieur de Siorac, reprit le
Roi, l’intermédiaire entre Mosca et moi ne m’agrée point du tout. Il a très peu
d’esprit et beaucoup d’appétit.
— Mais Mosca lui-même, dis-je
avec un sourire…
— Mosca, dit Chicot, prend
pécunes à toutes mains, et celles du Roi et celles de ses ennemis.
— Mais Mosca ne peut trahir que
dans un sens, dit le Roi, ne sachant rien de mes plans, et sachant tout des
leurs. Tandis que son intermédiaire peut trahir Mosca : auquel cas, je
serais moi-même trahi.
— C’est bien raisonné pour un
Roi, dit Chicot.
— Sire, dis-je, si je vous
entends bien, vous voulez que je sois d’ores en avant le relais entre Mosca et
vous, pour ce que vous avez pleine fiance en ma fidélité, ce dont je demeure
infiniment honoré.
— Mais pour ce que aussi, dit
le Roi, étant mon médecin, vous avez à moi accès tant facile et naturel qu’il
ne mettra puce au poitrail à personne.
— Mais, Sire, dis-je, je ne
vois pas bien le péril où ce rollet me jette.
— Immense, dit le Roi, en
m’envisageant œil à œil, le sien étant grand, noir de jais et dans le mien fort
fixement fiché. Si Mosca se fait prendre par ceux qu’il trahit, il livrera
votre nom et ces zélés, comme vous savez, ne respirent et ne ronflent que
meurtre.
— Ha Sire, dis-je, j’ai été en
bien d’autres dangers !
À quoi le Roi baissa un instant son
bel œil, sachant que je ne voulais nommer devant lui la Saint-Barthélemy pour
ce qu’il y avait pris quelque part, et moi sachant bien, de mon côté qu’Henri,
depuis le siège de La Rochelle s’étant persuadé que « le couteau ne
résout rien » contre les réformés, luttait de tout son pouvoir contre
les Guise qui le voulaient pousser à une nouvelle croisade. Raison aussi pour
quoi je servais de si grand cœur ce monarque qui protégeait les miens, lesquels
étaient toujours les miens, bien que j’allasse à messe. Mais il est vrai que je
l’aimais aussi pour lui-même, et tant pour sa tête bien faite que pour son
cœur, le plus débonnaire et généreux qui fût jamais. Et qu’Henri eût senti à
merveille mes
Weitere Kostenlose Bücher