Le Prince Que Voilà
parle de si haut ? Qu’est-ce qu’un bouffon qui ne
pipe ? Que si tu ne veux plus te servir de moi, Henri, dis à ton grand
rabbi de me payer mon compte, sans que j’aie à graisser le poignet de ce fils
de putain. Je trouverai parti ailleurs. Déjà, les Messieurs de Guise me font la
cour pour m’avoir à la leur. Et d’autre part, le bourreau de Thoulouse me fait
des offres qui ne sont pas à rejeter, y ayant en ce royaume des quidams qui ne
sont pas tant magnifiques que je n’aimerais les envoyer tout bottés au gibet.
Mais que si tu me veux encore, Henri, mon petit œil, je demeurerai des tiens,
malgré les Guise, malgré le bourreau de Thoulouse, voire même malgré ta chaise
percée dont je sentis ce matin un si mauvais vent !
— Chicot ! dit le Roi en
riant sous le masque, demeure, mais accoisé. J’ai à parler à M. de Siorac.
— Mais, Henri, dit Chicot, ravi
de n’avoir pas failli à dérider Sa Majesté, que te dira Monsieur de la Saignée
de plus que moi ? Il n’oit la messe que d’une fesse. Moi, je l’ois des
deux. Et ne sait-on pas que pour être Roi de France, ce jour d’hui, c’est assez
d’être catholique. Raison pour quoi le gros sottard aspire à ta succession.
À quoi le Roi rit encore, retira son
masque et se soulevant sur un coude, dit :
— Du Halde ! Renvoie ces
femmes et mets-moi mes gants.
Sur quoi les chambrières, sans
attendre le mot du valet de chambre, firent au Roi une première révérence, puis
reculant vers la porte, une deuxième, et enfin une troisième au seuil de ladite
porte que Du Halde avait derrière elles déclose.
— Mets le verrou, Du Halde, et
toi Chicot, pour le coup tais-toi !
— Si votre double Majesté me le
commande, dit Chicot, j’obéirai deux fois. Que si deux fois je désobéis, je me
donnerai à moi-même doubles coups d’étrivière. Comme dit le Magnifique :
Que chacun ici-bas se fouette à sa guise.
— Ha Chicot ! dit le Roi
en riant, si je ne t’aimais tant, je te haïrais !
— Et vice-versa, dit Chicot.
— Siorac, dit le Roi avec un
sourire quelque peu amer, vous étonnez-vous que d’aucuns grands en ce royaume
fassent fi de mon commandement ? Même mon bouffon ne veut m’ouïr.
— Il y a une différence, dit
Chicot, c’est que moi je te désobéis en t’aimant.
— Quoi, Chicot ! dit le
Roi en riant, mais non sans quelque âpreté, quelle impertinence est la
tienne ! Vas-tu prétendre que mon cousin le Duc de Guise n’est pas de moi
raffolé ? Il me l’assure tous les jours !
— Et assurément c’est vrai, dit
Chicot. Il donnerait pour toi la dernière goutte de ton sang.
— Ha Chicot ! dit le Roi
qui n’avait pas trop goûté cette saillie-là, à la parfin tu me fâcherais !
— Cela ne se peut. Le Roi
peut-il garder mauvaise dent à son chicot ?
À quoi cette fois le Roi rit à
gueule-bec et à franche lippée, aimant à la fureur les giochi di parole et y étant lui-même fort habile.
— Sire, dit Du Halde, si Votre
Majesté tressaute et branle, je ne saurais lui passer les gants.
— Passe, Du Halde, passe, dit
le Roi.
Lesquels gants, qui étaient de fine
soie et que le Roi gardait toute la nuit, avaient pour propos de préserver ses
mains frottées d’onguents. Précaution qui, à la réflexion, me laissait toujours
béant, tant j’y voyais pour ma part une incommodité que je n’eusse pu souffrir.
Il est vrai que mes propres mains, qui n’avaient point d’autre mérite que
d’être quotidiennement décrassées, n’étaient point tant belles que celles du
Roi.
— Mon petit Henri, dit Chicot,
qui connaissait infailliblement le moment où il devait se taire, tu m’as assez
ouï, je m’accoise, et je n’ouvrirai plus le bec que lorsque tes affaires avec
M. de Siorac feront appel à ma sagacité.
À cela le Roi sourit et qu’il eût
fiance en son for en la sagesse de son fou, c’est ce dont je m’avisai, quand je
le vis renvoyer Du Halde, mais garder Chicot en tiers à notre entretien.
— Monsieur de Siorac, dit le
Roi, j’ai su par Mosca ce qu’il était advenu ce matin devant le guichet de
Saint-Germain. Mais comme Mosca ne peut qu’il n’apparaisse en mon Louvre sans
perdre la fiance de ceux qu’il espionne pour moi, il me l’a fait assavoir par
un émissaire tant brièvement que j’aimerais avoir de vous un récit plus
circonstancié.
Je satisfis le Roi incontinent et
lui disant le quoi, le qu’est-ce et le comment de cette
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