Le Prince Que Voilà
ayant empoché ce
baiser si léger et cette bourse si lourde, qu’à baigner my Lady Stafford de mes
mercis, de mes grâces, de mes louanges, de l’assurance de mon infini respect.
Ce que je fis à profusion et selon ma coutume, à la truelle, la laissant à la
parfin tant contente de moi, et de mon éloquence, qu’assurément elle l’était
d’elle-même, ayant si bien servi par moi son mari et sa Reine.
Ce ne fut pas une mince et médiocre
affaire que cette ambassade du Duc d’Épernon auprès du Roi de Navarre, et les
dépens n’y furent pas épargnés, le Duc et pair étant suivi d’un train
véritablement royal, ne comptant pas moins de cinq cents gentilshommes,
lesquels ayant reçu du Roi en son immense libéralité même dotation que moi,
tenaient à point d’honneur et galanterie non seulement d’être splendidement
attifurés, mais de se faire suivre eux-mêmes selon leur rang, importance et
fortune, d’une suite de cinq à dix personnes, tant est que moi-même je me
serais senti fort vergogné au mitan de ce grandiose équipage de n’être
accompagné que de deux valets en livrée et d’un maître d’armes si, par bonheur,
le baron de Quéribus, qui avait pris soin, comme bien le lecteur s’en doute, de
s’entourer d’un nombreux domestique (y compris un fol, un masseur et un
astrologue) ne m’avait quis instamment de joindre mes forces aux siennes, tant
je pense pour que nous nous confortions en chemin de notre mutuelle compagnie
que pour ne pas avoir à rougir du train par trop huguenot, épargnant et chétif
de son beau-frère.
Si donc à cette suite de cinq cents
gentilshommes, on ajoute les suites de chacun de ces cinq cents-là, lesquels
pour le moins quadruplaient le nombre des cavaliers, sans compter les gardes du
Duc d’Épernon (et les ribaudes qui les suivaient, le Duc ne voulant pas de
forcements aux étapes), ses officiers, ses intendants, ses laquais, ses pages,
ses cuisiniers, les chariots et les mules portant les armes et les bagues, on
ne peut qu’on n’imagine l’interminable ruban de cette immense et magnifique
troupe, progressant avec une lourde lentitude, sous un soleil de plomb, et dans
la vacarme assourdissante de milliers de sabots sur la route poudreuse.
Sur mon conseil Quéribus avait quis
et obtenu du Duc d’Épernon la charge de partir en avant-garde préparer l’étape
au gîte, mission qui n’était point facile mais qui s’avéra d’une grande
commodité pour ce que de tout le voyage, nous pûmes de la sorte échapper à
l’inouï encombrement des équipages, à la réciproque turbulence des montures,
aux arrêts, aux à-coups, aux ruades, aux chutes et par-dessus tout aux nuages
étouffants de poussière que les chevaux soulevaient, et qui impiteusement
blanchissaient les faces les plus rubicondes et les vêtures les plus colorées.
En outre, comme nous arrivions les
premiers à l’étape, il nous était loisible de nous envitailler à plein sans que
les viandes renchérissent, se raréfient et à la parfin disparaissent, car pour
la male heure des bourgs et des villes par lesquels nous passions, nous les
laissions aussi vides d’aliments que troupes ennemies. Les laboureurs qui, au
bord de leur champ, béaient devant notre superbe cortège, eussent été bien
avisés de mêler quelque effroi à leur admiration, car nous passions dans le
plat pays comme une nuée de sauterelles ; il ne restait plus rien derrière
nous.
À marcher si lentement, il nous
fallut dix jours pour atteindre la Touraine où nous gîtâmes à Loches, gros
bourg qui plut fort au Duc d’Épernon par ses formidables défenses et qu’il
voulut, comme dit Rabelais, circumbilivaginer avant que d’y entrer,
admirant la force de ses murailles, ses tours et son donjon carré, lequel est,
en effet, un des plus beaux et des plus hauts que je visse jamais.
Au train où nous allions, il nous
fallut un mois et demi pour atteindre Pamiers, où le Roi de Navarre avait fait
dire au Duc par un chevaucheur qu’il l’espérait. Cependant, désireux de faire
honneur à Henri Troisième en la personne de son ambassadeur, le Roi de Navarre,
par une fort insigne condescendance, vint au-devant du Duc, à Saverdun. Il y
eut quelque gêne et vergogne en cette jonction sur la route entre les deux
troupes, celle d’Épernon étant si nombreuse et si magnifique, et celle du Roi
de Navarre, si petite et si médiocrement parée, comme si le riche Nord
encontrait là le Sud pauvre, et
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