Le Prince Que Voilà
entendu à
l’autre bout de Pamiers, si le bon peuple n’eût pas à cet instant poussé des
acclamations à déboucher un sourd.
— Ach ! Mon noble Monsieur ! hucha-t-il en détendant par degrés son bras
pour me reposer quiètement sur le pavé. Vous céans !
— Fröhlich ! criai-je à
mon tour, mon bon Suisse de Berne ! Que fais-tu à Pamiers ? As-tu
quitté à la parfin le service de mon père ?
— Nein ! Nein !
Nein ! cria Fröhlich en crescendo, les larmes
coulant sur sa face large et rouge comme un jambon. Moi quitter le baron ? Schelme ! Schelme ! (ce qui voulait dire « honte » en
son patois).
— Mais pourtant, dis-je béant,
c’est bien toi que je vois céans. Tu n’es ni rêve ni fantôme, mais homme de
bons muscles et solide chair ! Cornedebœuf ! c’est toi, mon
Fröhlich ! Et accoutré de la livrée jaune et rouge qui fut la tienne il y
a douze ans ! Au service derechef de Navarre ! Céans ! À
Pamiers ! D’où je conclus que tu t’es ôté du service de mon père !
— Schelme ! Schelme ! cria Fröhlich, moi, quitter le baron ! Un homme tant vaillant et
débonnaire que jamais ne se vit son pareil en le royaume ! Nein !
Nein ! À lui je suis, à lui je reste !
— Mais, mon Fröhlich, dis-je en
riant, comment peux-tu servir ensemble le Roi de Navarre à Pamiers et mon père
en Périgord ?
— Mais, cria Fröhlich dont la
rubiconde face s’élargit d’un sourire, comme s’il entendait enfin la raison
pour laquelle je m’étais apensé qu’il avait quitté mon père, c’est bien sûr,
que Monsieur le baron est là ! Servant, comme moi, le Roi de
Navarre !
— Quoi ! criai-je, mon
père ! Mon père céans ! Mon bon Fröhlich, mène-moi à son logis !
Sur l’heure ! Sans tant languir !
— Mon noble monsieur, dit
Fröhlich, laissez un petit que je mette de l’ordre dans cette populace qui tant
presse le Roi qu’elle l’étouffé ! Herr Gott ! Sont-ce là
manières ? À vous je suis, dès que les princes seront dedans la maison de
ville, remparés derrière les portes closes ! Espérez-moi !
Ce disant, il saisit sa hallebarde
des deux mains et la mettant à l’horizontale devant lui, il courut refouler à
lui seul je ne sais combien de manants et habitants de Pamiers qui en leur
liesse se mettaient tant au travers du Roi de Navarre qu’ils lui empêchaient
l’entrant. – Ha ! m’apensai-je, bien j’entends maintenant pourquoi
Henri m’a donné comme médecin à Épernon en cette ambassade en Guyenne. Il
savait que j’y verrais mon père ! Et outre la joie qu’il me baillait là,
il s’est sans doute avisé, en sa sagacité, que je saurais par lui bien des choses
qui, se peut, seraient cachées à Épernon et qui lui seraient fort utiles à
connaître.
Je retraçai mes pas pour retrouver
Giacomi, mon Miroul et Mundane, ce qui ne fut pas facile dans la presse et la
confusion des chevaux en ces étroites rues, la noise des acclamations
continuant sans rien rabattre, à croire que les gosiers de ces guillaumes
étaient du même bronze que leurs cloches, lesquelles carillonnaient à tympan
meurtrir, preuve qu’elles n’étaient plus céans catholiques, et l’œil (je parle
du mien) attiré qui-cy qui-là par de brunes, accortes et rieuses mignotes qui
se montraient curieusement aux fenêtres et qui, n’osant hasarder leurs
charnures ès rues au milieu de tant d’hommes affamés, échangeaient d’un côté à
l’autre de la rue des gausseries en oc sur les nouveaux venants, qui eussent
fait rougir un saint papiste. Qui se fût apensé que ce peuple-là serait devenu
triste en se donnant à Calvin aurait été dans la plus manifeste erreur, car ce
n’était partout à notre accueil, sous le radieux soleil de juin, que cris,
fleurs brandies ou jetées, rires, chants et interminables vivats, tant était
grande la gaîté innée de ces bonnes gens et immense, leur liesse à la pensée
que le réconciliement du Roi de France au Roi de Navarre ramènerait la paix.
Les gambes et les fesses lasses de
cette longue trotte du Nord au Sud du royaume jusqu’à son extrême confin –
les Pyrénées étant là, devant nous, qui nous remparaient contre
Philippe II d’Espagne et son zèle morose et meurtrier – nous étions
tous, je gage, fort heureux de nous trouver là, reçus et recueillis dans
l’amitié de cette bonne ville comme dans un cocon, et moi plus ravi qu’aucun
autre pour la raison que j’allais
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