Le Prisonnier de Trafalgar
mer.
Elle montra une lettre.
— Mon mari dit qu’il nous envoie un équipage et que nous nous joindrons à un convoi qui se formera au Nore. Vous savez où c’est ?
— C’est à l’embouchure de la Tamise, milady.
Le 26 octobre, un sloop de guerre qui embouquait le Firth vira dans le vent pour venir s’engager dans le chenal entre Bass Rock et la côte. Il empanna à deux encablures de l’île et un canot s’en détacha, faisant force rames vers la crique. Un lieutenant était assis à l’arrière. L’équipage tira le canot à sec pour lui permettre de débarquer. Hazembat, qui était descendu sur la grève, le salua.
— Conduisez-moi auprès de Lady Dalrymple, dit brièvement l’officier, un grand gaillard aux cheveux blonds et aux yeux bleus.
Quatre hommes mirent sac à terre derrière lui. C’était sans doute l’équipage annoncé. Après avoir confié le lieutenant à Williams, Hazembat redescendit au bord de l’eau.
Les quatre hommes n’avaient pas l’air de la première jeunesse. Le plus âgé interpella Hazembat.
— C’est toi, le skipper de ce rafiot qui est mouillé là ?
— Oui.
— Tu es un bloody Frenchie, hein ?
Il avait un visage rougeaud, des cheveux blancs et rares qui dépassaient de sous son chapeau et de petits yeux rapprochés.
— Oui, je suis français. Je m’appelle Bernard Hazembat.
— Moi, je suis Ben Blore, ancien boatswain’s mate du Thunderer. J’ai laissé ma main gauche à Trafalgar.
— J’y étais aussi.
— Il n’y a pas de quoi t’en vanter. Nous vous avons foutu la raclée !
Du moignon, il montra les autres.
— Ceux-là, c’est Sammy Jones, Bill Wayne et Stan Cooper. Ce sont tous des vieux de la vieille, assez vieux pour être exempts de la presse, mais pas assez pour refuser un embarquement, même avec un putain de Français !
Williams parut en haut du sentier.
— Hazy ! cria-t-il, Milady veut te voir !
Dans le petit salon, Conchita servait le thé à Lady Dalrymple, à Jenny et au lieutenant.
— Ah, Mr Hazembatt, dit Lady Dalrymple, le lieutenant Higgins désire vous parler.
Vu de près, le lieutenant avait l’air très jeune, mais ses yeux bleus étaient froids et impénétrables.
— Mr Hazembat, dit-il, j’ai des ordres vous concernant. Il semble que vous ayez attiré l’attention de l’Amirauté. Si vous en êtes d’accord, je suis autorisé à vous prendre à mon bord comme contremaître d’équipage avec la possibilité d’acquérir la nationalité britannique et de vous présenter à l’examen de lieutenant de la Royal Navy après le temps de service réglementaire qui est de deux ans.
Sans tourner les yeux vers Jenny dont il sentait le regard intensément fixé sur lui, Hazembat réfléchit. L’offre était alléchante et il connaissait bien des marins qui n’auraient pas hésité. Il ne sut pas exactement ce qui le décida, le patriotisme ou le désir de ne pas quitter Jenny.
— Avec votre permission, sir, dit-il, je suis très reconnaissant à l’Amirauté de cette offre généreuse, mais je ne puis l’accepter tant que la France et l’Angleterre seront en guerre.
— Bien. En ce cas, vous avez le choix : ou bien vous restez sur la Jenny à titre civil comme timonier sous les ordres du patron Blore, ou bien je vous remets à la disposition de l’autorité maritime pour être renvoyé à Portsmouth et interné comme prisonnier de guerre.
Il y eut un long silence. Curieusement, Hazembat fut tenté de choisir le retour à Portsmouth. Ce serait une occasion de tout recommencer au point de départ. Il arriverait bien, là-bas, à se tailler une place qu’il ne devrait à personne, et rien ne le retiendrait plus d’échafauder des plans d’évasion. Ce fut le tintement de la tasse de Jenny qui le tira de ses réflexions. Cette fois, il la regarda, pâle et sans défense, une supplication muette dans les yeux. Il sut alors qu’il n’avait pas le choix.
— Avec votre permission, sir, je souhaite rester à bord de la Jenny.
— Prenez votre fardage et allez vous mettre à la disposition du patron Blore.
— Aye, aye, sir.
Hazembat salua, fit demi-tour et alla préparer son sac.
Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu’il aurait tout le travail à faire sur le navire. Les vieux matelots étaient loin d’abattre à eux trois autant de besogne que les Murdoch
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