Le Prisonnier de Trafalgar
d’équipage, mais, quand il entrouvrit l’écoutille, il fut rassuré par les cris aigus qui l’accueillirent.
Après la canonnade et les explosions, le silence était étrange. Il jeta un coup d’œil sur la mer. Là où s’étaient trouvés le Korrigan et le transport, on ne voyait qu’une nappe de débris et de cadavres avec, çà et là, une tête ou des bras qui s’agitaient faiblement. A un mille à l’est, le Forth était immobile, sans dégâts apparents. Ses canots sillonnaient les parages, à la recherche des survivants. La Fury achevait de rassembler le convoi.
Hazembat, Nat et Bill Wayne s’activaient à tenter de mettre un peu d’ordre sur le pont et dans le gréement. Jenny était descendue dans le poste d’équipage et en avait ramené les deux femmes, trempées et hébétées.
Soudain, le Valorous fut tout près d’eux, à une encablure. Il mit en panne et un canot s’en détacha. Stephen était à bord.
D’un coup d’œil inquiet, il parcourut le pont. Hazembat le rassura.
— Elles sont saines et sauves, Stephen.
— Tu as des dégâts ?
— Trois hommes à la mer et les deux voiles emportées.
— Je vais t’envoyer deux matelots et mon maître voilier avec de la toile.
Jenny parut à la porte des cabines. Elle se jeta en sanglotant dans les bras du capitaine.
— Oh, Stephen ! tous ces hommes tués !
— C’est la guerre, Jenny. Nous faisons de notre mieux.
— Mais ne peut-on éviter tout cela ?
— Jenny, dit Hazembat, sans le courage, l’habileté et l’audace de votre cousin, il y aurait eu encore bien plus de victimes.
Le cœur serré, il la vit qui levait vers Stephen un regard d’adoration.
CHAPITRE XI : L’ÉVASION
L’hiver fut doux et pluvieux à Lisbonne. Du pont de la Jenny, Hazembat ne se lassait pas d’admirer la majestueuse ordonnance des édifices de la Baixa, la ville basse du bord du Tage, reconstruite, lui avait-on dit, après le tremblement de terre de 1755. Cela avait quelque chose de l’harmonie de Bordeaux, mais en plus pesant, plus orné.
En face de Lisbonne, l’estuaire du Tage était trois fois plus large que la Garonne à Bordeaux, mais en amont il s’élargissait en une véritable mer intérieure qui avait un peu l’ampleur du Firth of Forth et où l’immense flotte anglaise était à l’aise.
Toute la baie n’était qu’une base militaire. Wellington y gardait à bord des navires l’intendance, le train des équipages et les dépôts d’artillerie de son armée. Contenant Masséna sur les lignes de défense de Torres Vedras, à vingt lieues à peine au nord de la ville, il tenait à se ménager une voie de retraite au cas où les Français se fraieraient un chemin jusqu’à la capitale soit le long de la côte, soit par l’est, à travers les montagnes de l’Alentejo, en partant de Badajoz où Soult se montrait menaçant. Il ne fallait pas compter sur les maréchaux de Napoléon pour accepter une capitulation à la manière de Cintra.
Les Dalrymple vivaient dans une belle maison de la Baixa. Hazembat y avait été convoqué par Sir Hew dès le lendemain de l’arrivée. C’était un petit bonhomme d’une soixantaine d’années, rougeaud et maniéré comme sa femme. Il reçut Hazembat avec une bienveillance distraite.
— Ah, sailor, il paraît que vous avez fait une forte impression sur mon neveu Stephen. Très bien, très bien… Je vais vous faire donner un équipage de Portugais. Ils sont un peu épais, mais disciplinés et bons marins, m’a-t-on dit… Votre travail consistera à me transporter, moi-même ou les membres de mon état-major, jusqu’aux différents dépôts de l’armée sur les navires ou sur la rive. J’aurai enfin une embarcation digne de mes fonctions, chose que la Navy m’a toujours refusée…
Nat était retourné sur le Valorous qui avait repris la mer au bout de trois semaines. Quelques jours avant l’appareillage, Stephen avait fait une visite à la Jenny.
— J’espère que tu te plairas ici, dit-il à Hazembat. Le climat de Lisbonne est agréable et l’oncle Hew est plus vaniteux que méchant.
Hazembat demanda des nouvelles de Jenny. Stephen sourit.
— Elle découvre le monde. Il n’y a guère plus de haute société à Lisbonne : la plupart des nobles ont émigré au Brésil avec la Cour, mais il y a de riches marchands qui donnent des bals et des réceptions. Elle te manque ?
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