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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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rappeler les chansons écossaises.  
    Les semaines et les mois passèrent ainsi dans une sorte de torpeur. Noyée dans l’apaisante lumière de son printemps et de son été, Lisbonne oubliait la guerre, pourtant toute proche. Il arrivait qu’en allant virer en mer au large de Cascais on entendît l’écho lointain du canon.  
    Vers la fin d’août 1811, alors que le Valorous venait de mouiller en rade avec un convoi d’Angleterre, Hazembat reçut la visite du major Sir John Dalrymple, maintenant devenu colonel. Il avait vieilli et paraissait las de la guerre.  
    — Wellington n’arrive pas à prendre Badajoz, dit-il.  
    Masséna a été remplacé par Marmont, mais, si Bonaparte en personne était là, il y a longtemps qu’il nous aurait reconduits jusqu’à Lisbonne et rejetés à la mer. Wellington sait très bien qu’il suffirait d’un changement de gouvernement à Londres pour qu’on le fasse rembarquer avec armes et bagages.  
    — Joseph est toujours roi à Madrid, sir ? demanda Hazembat.  
    — Il ne le resterait pas bien longtemps si les Espagnols arrivaient à se mettre d’accord entre eux, mais ils n’ont en commun que leur haine de l’envahisseur français. Sans parler des brigands et des pillards, il y en a qui combattent la tyrannie de Bonaparte, mais il y en a bien plus encore qui la combattent parce qu’ils ont peur des idées généreuses et libérales que cette tyrannie a, malgré elle, héritées de la Révolution française.  
    — Si vous permettez, sir, je ne vois pas très bien comment une tyrannie peut être généreuse et libérale.  
    — Parce que tu n’es pas anglais, dit amèrement le colonel. Bonaparte est un tyran, certes, mais ses armées ébranlent d’autres tyrannies plus anciennes, plus iniques et plus redoutables encore que la sienne. Tu ne le sais peut-être pas, mais beaucoup des idées que la Révolution française a tenté de mettre en pratique viennent d’Angleterre. Et maintenant, c’est nous, les Anglais, qui défendons contre Bonaparte ces monarchies pourries, ces aristocraties arrogantes, ces clergés rétrogrades que nous avons voulu bannir de chez nous. Des dizaines de milliers d’Anglais sont en train de mourir dans une guerre imbécile pour rétablir en Espagne l’absolutisme, le fanatisme, l’obscurantisme et l’inégalité.  
    De la tête, il montra le Valorous.  
    —  Les marins ont le beau rôle. Ils ont fait leur travail en sauvant l’Angleterre à Trafalgar et c’est eux qui nous maintiennent ici, au bout de leurs convois, mais ils n’ont pas à se salir les mains. Stephen a la conscience nette. Il va pouvoir se marier en toute tranquillité.  
    — Se marier, sir ?  
    — Tu n’es pas au courant ? Les Dalrymple vont annoncer ses fiançailles avec Lady Jenny lors de son dix-septième anniversaire, dans quelques jours.  
    La nouvelle ne surprit pas Hazembat, mais elle l’émut plus qu’il n’aurait cru. Ce n’était pas comme pour Jantet et Pouriquète. Il ne ressentait pas de douleur, simplement un intolérable sentiment de vide, comme si plus rien ne donnait de sens à son existence. De nouveau, comme à un havre, il songea à la Guadeloupe. Les Anglais y étaient revenus depuis l’année précédente. Peut-être serait-il possible de s’y faire envoyer.  
    Le lendemain matin, Sir Hew le reçut au breakfast. Il avait l’air mécontent et embarrassé.  
    — Ah, sailor…, hem…, la semaine prochaine, Lady Dalrymple et moi donnerons une petite réception… hem… pour l’anniversaire de Lady Jenny… Ma nièce a exprimé… hem… très vivement le désir que vous y soyez invité…  
    Cela avait l’air de tellement le gêner qu’Hazembat ne put s’empêcher d’accepter, si peu qu’il en eût envie.  
    — Les désirs de Lady Jenny sont des ordres, sir.  
    —  Très bien, très bien… hem… Il faudra que votre… hem… tenue, n’est-ce pas, soit à la hauteur du… décorum qu’exige une pareille occasion… Vous me comprenez ?  
    — J’y veillerai, sir.  
    Comme il sortait de la salle à manger, la voix de Jenny le héla du fond du couloir.  
    — Hazy !  
    Il s’approcha de la porte entrouverte.  
    — Oui, Jenny ?  
    Elle portait un déshabillé de soie blanche avec des raies bleu pâle, assorties à la couleur de ses yeux.  
    — Hazy, mon oncle vous a invité ?  
    — Oui, Jenny, je vous remercie.  
    — Vous viendrez ?  
    — Si vous le désirez, Jenny.

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