Le Prisonnier de Trafalgar
sifflet un trille d’honneur et Leblond-Plassan salua du sabre. L’Espagnol souleva son tricorne fourré d’hermine.
— Je ne sais qu’admirer davantage, commandant, dit-il en un français à peine teinté d’accent, la discipline ou la bravoure de votre équipage. Je me présente : comte de Cercedilla, commandant la garnison de Corcubion, à trois lieues d’ici.
— Lieutenant de vaisseau Leblond-Plassan.
Les deux officiers s’éloignèrent pour discuter. Pigache fit mettre l’équipage au repos et envoya Hazembat avec quelques hommes jusqu’à l’épave de la Bayonnaise pour voir s’il restait quelque chose à sauver. Mais, parmi les poutres brûlées où le feu couvait encore, il ne restait plus rien : tout avait été calciné ou fondu. Même les cadavres avaient été réduits en cendres inidentifiables. Seule, la partie inférieure de la coque, encore immergée, avait relativement résisté au feu. Hazembat découvrit un minuscule lambeau de la flamme de guerre, resté au bout du grand mât quand il s’était abattu par-dessus bord. Il le rapporta à Leblond-Plassan qui en fut vivement ému et chercha en vain où ranger la précieuse relique.
— Il me semble, commandant, dit le comte de Cercedilla, que vous devrez accepter le don de quelques-unes de mes chemises. Pour le reste, il faudra que vous vous contentiez de vêtements civils, à moins que vous ne vouliez porter l’uniforme espagnol !
Leblond-Plassan tendit le bout d’étamine bleue à Hazembat.
— Trouve un endroit où garder ceci en sécurité.
— Avec votre permission, commandant, je vais demander au maître voilier de le coudre derrière la cocarde que je porte suspendue autour du cou.
C’était la cocarde que lui avait donnée Pouriquète en 1789, alors qu’ils n’étaient que des enfants. Elle avait contenu dans sa doublure la fleur de vanille que lui avait donnée Belle pour sa bonne amie de France, puis une boucle des cheveux de Pouriquète. Les couleurs en étaient complètement fanées et il sembla à Hazembat que le bleu de la flamme leur redonnait vie.
Les blessés furent hissés jusqu’en haut de la falaise et chargés sur des charrettes qui prirent le chemin d u Ferrol. On amena un cheval pour Leblond-Plassan et le reste de l’équipage se mit en route à pied pour Corcubion. Le chemin en corniche dominait la mer et, à l’horizon, sous le ciel pâle, on distinguait nettement des voiles qui devaient être celles de l’escadre anglaise de blocus.
Corcubion ressemblait à Cedeira. Un lougre était à l’ancre dans la petite baie. Les hommes furent répartis dans les maisons du village. Hazembat se trouva logé avec Jantet et ses charpentiers chez un vieux ménage de pêcheurs. La bicoque rappelait celle de Manœl, à Cedeira, en plus pauvre encore. Il y avait une seule pièce enfumée au fond de laquelle rougeoyaient des braises dans un âtre sans cheminée. Les hommes se jetèrent sur le sol de terre battue, épuisés par la nuit de cauchemar qu’ils venaient de vivre.
La vieille puisa de la soupe dans la grande marmite de terre et en servit à la ronde. Ils durent prendre leur tour, car il n’y avait que deux écuelles. Hazembat retrouva le goût de la feijada avec une sorte de nostalgie. Il voulut le dire à ses hôtes qui firent mine de ne pas comprendre et détournèrent la tête en silence.
Le lendemain, Leblond-Plassan partit pour Le Ferrol en compagnie du comte de Cercedilla. Hazembat essaya d’engager la conversation avec les gens du village et les quelques matelots ou soldats de la garnison, mais partout il se heurta à une sourde hostilité qu’il avait du mal à comprendre.
Quand Leblond-Plassan revint, trois jours plus tard, il réunit les officiers et fit appeler Hazembat.
— Il y a au Ferrol une frégate française qui s’apprête à forcer le blocus et à appareiller pour Bordeaux. Je vais m’y embarquer avec les lieutenants Ouzanneau, Peseron et Tournois afin de rendre compte aux autorités maritimes de la perte de mon navire.
Ils savaient tous ce que cela voulait dire : Leblond-Plassan devrait passer devant une cour martiale qui, selon son jugement, le condamnerait ou le féliciterait pour sa décision de détruire la Bayonnaise.
— Pigache restera ici pour s’occuper de l’équipage.
D’après ce que m’a dit le commandant de la frégate, vous serez rapatriés à la première occasion.
Quelques jours
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