Le Prisonnier de Trafalgar
n’étaient plus que trois à bord quand l’Anglais se présenta. Le canonnier fit feu, mais l’ Ardent ne répondit pas. Il manœuvrait à venir s’embosser par le travers de la Bayonnaise.
— A la yole ! cria Leblond-Plassan en saisissant le boutefeu du canonnier et en l’appliquant à la mèche.
Son visage, à cet instant, ressemblait à celui du capitaine Lesbats, désespoir et colère mêlés.
Tandis qu’ils ramaient vers la rive, Hazembat vit l ’Ardent qui, ayant compris le piège, larguait les amarres et reprenait précipitamment le large.
Ils prenaient pied sur la plage quand l’explosion se produisit. Il y eut d’abord une série de détonations sourdes, puis la Bayonnaise, dérivant vers le nord, s’embrasa d’un coup de la poupe à la proue. L’instant d’après, elle toucha et s’inclina sur le flanc.
L’équipage rescapé regardait, pétrifié, la chaleur du feu sur les visages. A la lueur de l’incendie, Hazembat vit Jantet qui pleurait.
CHAPITRE II : LE CAMP DE BOULOGNE
La fin de la Bayonnaise n’avait guère ressemblé à celle de la Belle de Lormont, mais Hazembat devait longtemps se souvenir de cette nuit sur la grève, où l’équipage hautement entraîné d’une merveilleuse machine de guerre s’était en quelques instants transformé en une troupe grelottante de naufragés nus.
Car ils étaient quasiment nus, comme il l’avait été jadis lui-même sur la lande de Cedeira. De l’uniforme de Leblond-Plassan, il ne restait que des loques trempées tandis qu’il allait de l’un à l’autre, cherchant futilement à ranimer les esprits, à donner de l’espoir aux blessés. Il avait gardé son sabre d’honneur à la main, faute d’un fourreau où le ranger.
Hazembat et le petit enseigne Pigache furent les premiers à trouver assez de sang-froid pour organiser les secours. Ils firent confectionner des litières de varech pour les blessés et, avec du bois flotté, ils arrivèrent à allumer un grand feu autour duquel, un à un, les matelots, visages tirés, comme hallucinés, vinrent se ranger.
Le sergent espagnol était descendu avec deux hommes. Il fit comprendre qu’il avait envoyé un cavalier pour porter la nouvelle aux autorités. Sur son ordre, on apporta des couvertures et de l’eau à boire. Plus tard, des villageois descendirent du hameau de Finisterre avec quelques pains de seigle et des botas de vin.
A l’aube, Leblond-Plassan réunit son état-major.
— J’ignore, dit-il, ce que sera notre sort. A ma connaissance, l’Espagne n’est pas en guerre avec l’Angleterre et, selon les règles strictes de la neutralité, nous devrions être internés, quitte à être rapatriés plus tard. Mais je crois savoir que le Premier Consul a des accords secrets avec la Cour d’Espagne. Je m’attendais à un secours plus actif des canons espagnols. En fait, ils ont tout juste tiré ce qui était indispensable à l’affirmation de leur neutralité. C’est une attitude qui m’inquiète un peu. Il est essentiel que, lorsque les autorités espagnoles arriveront, nous nous présentions comme un équipage organisé et non comme un ramassis de naufragés. Pour commencer, je veux un état complet du personnel, hommes d’équipage et maistrance.
— C’est déjà fait, commandant, répondit Pigache. Il y a quarante-neuf hommes valides et vingt-trois blessés. Nous avons perdu trente-neuf hommes, dont le maître canonnier et trois quartiers-maîtres.
Leblond-Plassan ferma les yeux un instant. Plus de la moitié de l’équipage hors combat justifiait sa décision, mais la note du boucher était lourde.
— Bien, dit-il enfin. Hazembat, fais ranger les hommes par bordées et par divisions.
Un soleil maussade s’était levé sur la mer et il commençait à atteindre la plage en oblique. Les marins obéirent sans trop de difficultés. Jantet avait déjà aligné ses cinq compagnons survivants. Son visage était fermé comme celui de quelqu’un qui vient de subir le deuil d’un proche. Au passage, Hazembat lui mit la main sur l’épaule.
Il achevait sa tâche quand des cavaliers arrivèrent par le sentier du hameau. L’officier qui chevauchait en tête, vêtu d’un uniforme blanc barré d’un cordon rouge, mit pied à terre et se dirigea vers Leblond-Plassan. Il portait une épaulette de lieutenant de vaisseau.
Un ordre de Pigache mit l’équipage au garde-à-vous. Hazembat modula sur son
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