Le Prisonnier de Trafalgar
pour demander des volontaires, il n’eut pas l’air surpris de voir vingt hommes du Wimille, lieutenant en tête, faire un pas en avant. Ils descendirent la côte jusqu’à Cherbourg à bord d’un chaland de ravitaillement. Là, ils furent embarqués sur une frégate qui leur fit passer de nuit les dangereuses approches de Brest où les navires anglais s’aventuraient maintenant jusque dans la baie.
Hazembat resta près du timonier, retenant son souffle tandis qu’ils franchissaient l’étroite passe entre Ar Men et Saint-Mathieu. Sur ces eaux qu’il avait tant de fois sillonnées à bord de l’ Argonaute, il reconnaissait à l’oreille le bruit des brisants sur chaque récif.
Le 5 mars, à l’aube, ils embouquèrent enfin l’estuaire de la Charente et pénétrèrent dans la rade de Rochefort. Il y avait là deux vaisseaux de ligne à l’ancre. Hazembat en connaissait un de vue, l’ Achille, un soixante-quatorze. L’autre était plus gros et devait porter au moins cent canons. Sa coupe était peu familière et le tableau arrière, notamment, ornementé, doré et surmonté de hautes lanternes, faisait montre d’une ostentation qui contrastait avec l’habituelle sobriété des navires de construction française.
Il en apprit le nom l’après-midi quand Leblond-Plassan le reçut avec Pigache dans un bureau très semblable à celui où, quatre ans plus tôt, il l’avait embauché à bord de la Bayonnaise.
— C’est l’ Algésiras. Il est espagnol, mais il vient d’être placé sous commandement français. Le commandant est le capitaine de frégate Le Tourneur et le contre-amiral Magon y a mis sa marque. Je vais y embarquer comme officier de manœuvre. Les officiers espagnols sont, en général, excellents, mais je n’en dirai pas autant de l’équipage. C’est pourquoi j’ai tenu à m’entourer d’hommes que je connais. Pigache, vous serez mon adjoint, et toi, Hazembat, tu seras contremaître à la manœuvre. C’est bien le diable si, cette fois, on n’homologue pas ta promotion !
Il se dirigea vers un guéridon et versa trois verres de vin.
— A la victoire ! dit-il. Le moment est venu où nous allons en faire voir de dures à l’amiral Nelson !
Au moment où ils allaient se quitter, il retint Hazembat.
— L’appareillage n’est que dans une dizaine de jours. D’ici là, il faudra aller prendre livraison à Langon de bois de charpente qui est arrivé par charroi des Pyrénées. J’ai pensé que tu aimerais t’en charger.
CHAPITRE III : TRAFALGAR
A l’avant du lourd chaland de mer, Hazembat et Jantet virent une fois de plus se déployer devant eux l’arc du Port de la Lune. Ils n’avaient pas revu Bordeaux l’un depuis quatre ans, l’autre depuis six. On sentait le poids de la guerre. Les quais où jadis s’entassaient les marchandises étaient presque déserts et les navires de commerce au mouillage étaient tous désarmés.
— Ce sont les grandes eaux, dit Hazembat. Avec les marées d’équinoxe pour monter et la crue pour descendre, nous n’aurons pas de mal à faire l’aller-retour de Langon, même à pleine charge.
A l’escale de Cadillac, ils rencontrèrent la Gigasse qui descendait vers Bordeaux. C’était un des couraus du père de Jantet et elle était toujours commandée par Caprouil Montaudon avec qui Hazembat avait fait son apprentissage. A l’approche de la quarantaine, il gardait sa tignasse rousse et sa sveltesse vigoureuse.
— Vous trouverez tout votre monde à la maison, dit-il. L’ Aurore est au port.
De fait, quand, au-delà du coude de Toulenne, Langon apparut, Hazembat distingua tout de suite, parmi les rares embarcations au mouillage, le bordage rouge et vert du courau que Perrot lui avait donné en cadeau lors de ses accordailles avec Pouriquète et que commandait son père.
Ce fut justement lui qui l’aperçut le premier. Il était en compagnie du cousin Guitoun sur le tillac de l’ Aurore. Les mains en porte-voix, il y eut un grand échange de cris de bord à bord. Le chaland poursuivit sa route pour aller s’amarrer devant le port des Chais où était entreposé le bois.
La planche était à peine lancée que déjà on affluait de toutes parts. Perrot Rapin, vieilli, mais portant encore beau ses cinquante ans, venait en tête. Il embrassa Jantet, les larmes aux yeux.
— Six ans que je ne t’avais pas vu, hilhôtl, l e temps commençait à être long ! Et ton
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