Le Prisonnier de Trafalgar
encore trop faible pour quitter sa chambre.
Tante Rapinette avait vidé tous les toupins de confit de la maison et Hazembate les avait accommodés avec des cèpes séchés de la dernière saison. Jantet tira de sa cave tout un assortiment de vins de Fargues et de Toulenne ainsi que ses dernières bouteilles de barsac 95.
Il était passé minuit quand Rapinette, Hazembate et Janote posèrent sur les planches une gigantesque tarte aux pommes cuite au four du boulanger.
Hazembate en mit une portion dans une assiette et dit à l’oreille de son fils :
— Va porter le dessert à Pouriquète.
— Tu crois que je peux y aller à cette heure-ci ?
— Personne ne s’en apercevra, pécquàt. Ils ont tous trop bu !
Quand il se glissa dehors, nul ne fit attention à lui, sauf Jantet qui le suivit des yeux.
Une bougie brûlait sur la table de chevet, éveillant des reflets d’or dans les cheveux de Pouriquète. Hazembat posa l’assiette à côté d’elle. Les bras de Pouriquète se nouèrent autour de son cou, faisant monter dans sa gorge comme un sanglot d’infinie douceur. Longuement, ils se caressèrent, savourant leurs corps peu à peu dénudés. Quand il la pénétra, elle rejeta la tête en arrière avec un gémissement de délivrance.
— Ven, mon Bernardôt, ven…
Les hanches rondes et menues se mirent en mouvement, appelant sa jouissance qui déferla enfin, tranquille et puissante comme un mascaret de printemps.
Plus tard dans la nuit, elle lui dit :
— Il faut que tu saches… La dernière fois, j’ai fait une fausse couche.
— Tu as eu mal ?
— Non, pas tellement. Le Dr Graullau m’a bien soignée. Il dit que je pourrai avoir d’autres enfants, mais j’aurais voulu garder celui-là.
— Qu’est-ce que les gens auraient dit ?
— Et qu’est-ce que tu veux qu’ils disent, avec cette guerre de malheur ? Si les femmes ne font plus d’enfants, il n’y aura plus d’hommes à faire tuer !
Au petit matin, ils entendirent Capulet rentrer d’un pas mal assuré, puis Castagne vint gratter à la porte.
— Bernard, souffla-t-elle, Jantet te fait dire que la marée tourne dans une heure.
A la lueur du jour naissant, ils se regardèrent. La bougie était depuis longtemps consumée. La portion de tarte froide attendait toujours dans l’assiette. En riant, ils se la partagèrent, puis Pouriquète se laissa retomber sur l’oreiller.
— Reviens vite, Bernard.
Elle essayait de sourire à travers les larmes qui faisaient briller ses yeux.
Au port des Chais, le père et la mère d’Hazembat guettaient son arrivée.
— A bientôt, hilhôt, dit le vieil Hazembat en lui serrant la main.
Hazembate ne dit rien, mais elle lui passa doucement la main sur la joue avant de l’embrasser.
Quand le chaland fut bien établi dans le courant, Hazembat alla rejoindre Jantet à l’avant.
— Tu n’as pas été voir Pouriquète ?
— Tu l’as vue pour deux, non ?
Il détourna la tête, un pli amer au coin des lèvres.
L ’Algésiras était sur le point d’appareiller quand ils arrivèrent le 19 mars à Rochefort. Hazembat alla se présenter à Leblond-Plassan.
— Je ne sais pas ce que valent les marins espagnols, lui dit ce dernier, mais le maître d’équipage est de premier ordre. Je crois qu’il te connaît, d’ailleurs. C’est un Basque.
Hazembat se souvint alors de ce que lui avait dit un marin au Ferrol.
— Il ne s’appelle pas Inaki Iturralde ?
— Je me contente d’Inaki. Tu as de la chance de te souvenir du reste !
— Sur la Garonne, nous l’appelions Navarrot. Depuis qu’ils s’étaient quittés en 97 sur la plage d u Boucau, Navarrot avait moins changé qu’Hazembat. Il n’y avait entre eux qu’une différence de cinq ou six ans et ils étaient bâtis à peu près de la même manière, Navarrot plus trapu, Hazembat plus carré d’épaules. Les retrouvailles furent sobres, l’émotion toute en dedans, comme un feu sous la cendre.
— Agur, Bernardchu.
— Com va, Navarrot ?
La conversation porta aussitôt sur le navire.
— Il a été construit il y a presque quarante ans, dit Navarrot. Solide, il l’est, mais guère maniable. Tu auras du mal à la manœuvre.
— Quelle est sa meilleure allure ?
— Largue, il prend bien le vent, mais au plus près serré il embarde. Avec l’équipage que nous
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