Le Prisonnier de Trafalgar
lendemain matin, tout en prenant leur rang pour embarquer dans les canots, ils examinèrent le pont à hauteur de leur sabord à la recherche d’un espar qui pût servir de flotteur.
— Vous avez vu le caillebotis qui est arrimé contre le pavois ? dit Hazembat le soir. Il doit avoir trois pieds sur quatre. C’est un amarrage plat. Il ne devrait pas être trop difficile de le dégager et de le balancer par-dessus bord. Le tout est d’y aller.
— J’irai, dit Orsini. C’est moi le plus petit et je ne crains personne pour l’escalade.
— Ça va faire un fameux plouf quand il balancera le caillebotis à l’eau, objecta Quilliou.
— Il faut attendre qu’il y ait un peu de mer, répondit Hazembat. Le bruit se mêlera aux autres.
La nouvelle lune était passée de trois nuits quand un nordé assez frais se leva. Une houle courte entrait dans l’anse avec assez de vigueur pour balancer le Charon au mouillage, éveillant toutes sortes de clapotis et de craquements parmi lesquels le plongeon du caillebotis avait des chances de passer inaperçu.
La nuit venue, Hazembat entrouvrit le mantelet. L’obscurité était totale, mais il connaissait maintenant assez bien ses repères pour s’orienter. La cloche venait de piquer six quand il aperçut un point lumineux qui dansait vers l’entrée de l’anse. D’autres lanternes s’allumèrent sur la rive. Pour autant qu’il pût s’en rendre compte, il n’y avait qu’une barque.
Des éclats de voix lui parvinrent à travers la rumeur du vent et des vagues. Quand la cloche piqua huit, les lumières s’égaillaient entre le rivage et les baraquements. On devait être en plein déchargement. Une seule lanterne brillait, solitaire, sur la barque.
— Maintenant, dit-il en donnant une poussée pour ouvrir tout grand le mantelet.
Orsini se glissa par l’ouverture, prit pied sur une saillie du bordage et se hissa vers le haut. L’attente parut interminable. Tant qu’on n’entendait pas le « Who gœs there ? » d’une sentinelle, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Hazembat imaginait Orsini en train de délacer la bridure dans le noir, puis de défaire les deux contre-tours, les deux tours, de dégager le caillebotis à bout de bras…
L’éclaboussement sur l’eau lui parut claquer comme une gifle monstrueuse. Tendu, il écouta, mais tout paraissait tranquille. Souple et silencieux, Orsini passa à côté du sabord et glissa dans l’eau.
— Allons-y !
Quilliou sauta le premier. Au contact de l’eau, la première réaction d’Hazembat fut la panique. Il ne voyait rien et pateaugeait à l’aveuglette, la bouche et le nez pleins d’eau salée.
— Par ici !
La main d’Orsini guida la sienne vers la pièce de bois qui flottait à un pied de lui. Puis Orsini plongea pour ramener Quilliou qui s’accrocha frénétiquement au caillebotis, le faisant basculer.
Mais déjà Hazembat avait retrouvé son sang-froid. Il aida Orsini à redresser le caillebotis et, comme ils l’avaient convenu à l’avance, ils se mirent à nager chacun d’une main, traînant le radeau improvisé.
La traversée fut plus longue qu’ils n’avaient calculé. Quand, de la crête d’une vague, ils apercevaient la lanterne de la barque, ce n’était jamais où ils l’attendaient. Sans cesse, il leur fallait rectifier la direction et tenir compte d’un courant très faible, mais obstiné, qui les poussait vers le fond de l’anse.
Ils commençaient à s’épuiser, désespérant d’atteindre leur but, quand, soudain, ils furent contre la coque. Après avoir repris haleine, ils se coulèrent jusqu’à l’arrière et, laissant partir le caillebotis à la dérive, s’accrochèrent au câble d’ancre.
Hazembat écouta. Il n’y avait personne sur le rivage et les bruits qui venaient de la barque indiquaient la présence d’un homme à bord, peut-être de deux. Se rapprochant de ses compagnons, il leur rappela par gestes le plan qu’ils avaient mis au point ensemble. Hazembat monterait par bâbord, Quilliou par tribord et Orsini, avec son couteau, trancherait le câble d’ancre, puis monterait à l’arrière prendre la barre.
Quilliou fut le plus rapide. Hazembat mettait à peine le pied sur le fond de la barque qu’il entendit un « Han ! » et le bruit d’un corps qui s’affaissait. Il enjambait un banc en direction du mât quand une silhouette se dressa devant lui. Il prit
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