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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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autres, mais beaucoup d’entre eux avaient l’air malade. Hazembat fit la connaissance d’un petit Napolitain à face de fouine, surnommé Topolino, qui semblait parler toutes les langues et avoir ses entrées dans tous les groupes du faux-pont. Il comprit vite pourquoi quand Topolino lui offrit tout un assortiment de menus objets, couteaux, bougies, briquets, ficelle, savon, contre une part des rations allouées à son groupe. Le petit bonhomme avait, disait-il, l’oreille des gardiens et pouvait librement circuler dans tous les niveaux du ponton. Il avait même des relations à terre.  
    Hazembat apprit de lui que la batterie supérieure était occupée par les prisonniers les plus anciens, ceux qui avaient survécu à plusieurs mois, voire à plusieurs années de captivité. Ils ne mouraient pas tous. Périodiquement, des détachements de presseurs venaient faire leur cueillette et enrôlaient dans la marine anglaise ceux que le désespoir faisait fléchir. Il y en avait aussi qui trouvaient du travail à terre. Ce n’était pas forcément ceux qui avaient le meilleur sort. Les brigades de travailleurs de force sur le port étaient menées comme des chiourmes d’esclaves. En revanche, pour qui parlait anglais et avait des relations, il existait des emplois de choix.  
    — Tu parles anglais et j’ai des relations, disait Topolino. A nous deux, nous pouvons combiner quelque chose.  
    — Tu parles anglais aussi, répondait Hazembat. Pourquoi ne combines-tu pas pour toi ?  
    — Eh, dans toute affaire, il faut avoir un associé !  
    La nourriture était distribuée une fois par jour. C’était invariablement de la purée de pois et de la viande salée avec des biscuits qu’il fallait longuement tapoter sur les planches pour en faire tomber les larves de charançons. Le dimanche, chaque homme recevait une mesure de rhum.  
    Hazembat qui, tout naturellement, était resté le responsable du groupe et dont l’autorité n’était contestée par personne, envoyait une corvée faire emplir les grandes gamelles – une pour dix hommes – au pied de l’escalier de grand mât où se faisait la distribution. L’ordre hiérarchique de passage était rigoureusement fixé : les Bretons d’abord, puis les Hollandais, puis les Espagnols et enfin les autres. Les gamelles des hommes du Charon étaient rarement pleines, ce qui entraînait des contestations, parfois des bagarres qu’Hazembat calmait à coups de poing et de savate.  
    Le goût de la viande était abominable, mais les hommes en redemandaient, tenaillés par la faim. Trois malades qui auraient peut-être pu survivre moururent de faiblesse sans que personne parût s’en préoccuper. Aucun médecin, trois mois après leur arrivée, ne les avait encore visités.  
    — Tu sais ce que veut dire le nom du navire qui vous amenait ici ? demanda un jour Topolino à Hazembat.  
    — Le Charon ?  
    —  Oui. Charone, c’était, du temps des Grecs, le batelier qui emportait les morts vers l’enfer.  
    — Il a été coulé par un corsaire français et il y a eu assez de morts comme ça !  
    — Alors fais quelque chose, parce que, ici, il n’y a que les plus forts qui survivent.  
    Un jour que les gamelles étaient à moitié vides, Hazembat décida de réagir. Le lendemain, quand il conduisit sa corvée au pied de l’escalier, il fit signe à ses hommes de passer les premiers. Le gros Breton le regarda d’abord d’un air incrédule, puis lui donna une violente poussée sur la poitrine. Hazembat répondit par le coup que lui avait enseigné Sam Billings à la Guadeloupe : un l’épaule, deux l’estomac, trois le menton. Le Breton s’écroula dans un tintamarre de gamelles vides. Ses hommes, sidérés, le regardèrent sans bouger. Les deux vieux marines de garde observaient la scène du coin de l’œil, prêts à intervenir si les choses se gâtaient. Ils devaient en avoir vu d’autres. Hazembat fit servir sa corvée, puis vinrent les Hollandais, puis les Espagnols, puis les Italiens. Quand arriva le tour des Bretons, leur chef commençait à reprendre connaissance. Hazembat le saisit par la chemise, le remit debout et lui dit :  
    — Désormais, ce sera à chacun son tour de passer en premier : demain les Hollandais, après-demain les Espagnols et ainsi de suite. Compris ?  
    L’autre grommela d’un air menaçant, mais le grand Hollandais blond mit la main sur l’épaule d’Hazembat et hocha la tête

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