Le Prisonnier de Trafalgar
donnera un résultat, mais on peut toujours essayer.
— Merci, sir.
— Tu parles bien l’anglais. D’où es-tu ?
— De Langon, sir. C’est à dix lieues en amont de Bordeaux.
— Bordeaux ? J’y ai souvent fait escale avant la guerre, quand j’étais au commerce. Tu dois t’y connaître en vin ?
— Un peu, sir.
— Ah ! je donnerais bien huit jours de solde pour une bonne bouteille de claret, mais, avec son blocus continental, votre Bonaparte nous prive de ce qu’il y a de meilleur dans la vie.
La commission d’enquête visita le ponton quinze jours plus tard. Quand Hazembat fut conduit sur le pont, en tant que représentant des prisonniers, un civil ventru, qui devait être le surintendant du magasin des subsistances, s’apprêtait à faire ouvrir un tonneau de viande salée.
Il ne devait pas savoir qu’Hazembat comprenait l’anglais, car il continua à parler devant lui aux personnages qui l’accompagnaient.
— Ce n’est pas que je me soucie beaucoup de ce que mange cette racaille, mais la réputation de mon service me tient à cœur. S’il ne tenait qu’à moi, je remorquerais ces pontons au large de Wight et je les coulerais avec toutes les bouches inutiles qu’on y garde, je me demande pourquoi !
— Nous nous le demandons aussi, sir, dit doucement Hazembat, sachant que le surintendant était un civil et qu’il pouvait se permettre cette insolence.
Le bonhomme lui lança un regard furieux. En même temps, un des membres de la commission éclata de rire.
— A fairr answerr, sailorr ! s’écria une voix qu’il reconnut aussitôt pour être celle du Dr Mac Leod.
Il était en civil. A côté de lui, un maigre post-captain, à l’air rogue et hautain, et un jeune lieutenant composaient la commission.
Tandis qu’un quartier-maître s’escrimait au ciseau sur le couvercle du tonneau, Mac Leod s’approcha d’Hazembat et, de ses yeux de caniche, examina son visage.
— Belles cicatrices ! Elles rehaussent le charme exotique de tes traits. Capitaine, ce marin a reçu un coup de canon à bout portant et voyez ce qu’en a fait ma science chirurgicale ! N’est-ce pas un miracle ?
— H’m… hrm’pf, répondit le post-captain en posant un œil glacial sur Hazembat.
— Ah ! continuait Mac Leod, ça a été une grande perte pour la Navy le jour où j’ai quitté le service actif et accepté ce poste de médecin à l’hôpital naval de Portsmouth ! Mais le porto des Long Rooms est acceptable et c’est une consolation.
A ce moment, le couvercle du tonneau sauta et une horrible puanteur se répandit sur le pont. Le post-captain haussa un sourcil et fit signe au lieutenant d’aller inspecter le contenu du tonneau. Avec une visible répugnance, le jeune officier obéit, les traits contractés. Quand il se redressa, il était pâle et l’on sentait qu’il luttait contre une nausée.
— Your advice, doctor ? demanda le post-captain. Mac Leod hocha la tête.
— S’il s’agissait d’un malade, je diagnostiquerais une gangrène au stade de la décomposition putride.
L’œil du post-captain fixait maintenant le surintendant qui maugréa :
— Un tonneau ne veut rien dire. Nous allons en ouvrir un autre.
Le résultat fut le même, mais, avec l’accoutumance, l’odeur parut moins insupportable.
— Ce doit être une erreur du magasinier, dit le surintendant qui n’avait pas perdu son assurance. Il la paiera cher ! Je ferai reprendre ces tonneaux demain et j’en ferai livrer d’autres.
Sans lui prêter attention, le post-captain laissa tomber :
— Lieutenant, faites envoyer une allège. Qu’on brèle ces tonneaux dans des filets, qu’on les leste avec des boulets de canon et qu’on aille les jeter à la mer au large de l’île de Wight.
— Aye, aye, sir.
— Je proteste ! s’écria le surintendant. Ces tonneaux sont la propriété du commissariat au ravitaillement et j’en suis comptable !
Lui tournant délibérément le dos, le post-captain s’adressa à Mac Leod :
— Docteur, vous allez procéder à un examen médical de tous les prisonniers et vous prescrirez pour eux une nourriture adéquate. Vous ferez de même ensuite pour les autres pontons. Une copie du rapport de la commission d’enquête sera communiquée au victualler.
Puis, sans ajouter un mot, il se dirigea d’un pas raide vers la coupée. Le trille
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