Le Prisonnier de Trafalgar
du Charon, mais l’âpre parfum de l’avoine fraîche était stimulant. A sept heures, une carriole vint chercher les passagers. Aidé de Duncan et de Malcolm, Sir John se hissa sur le siège avant, à côté du cocher. Hazembat se mit à l’arrière, parmi les malles et les colis, avec Mrs Kerr, Lorna et Duncan qui étaient du voyage. Malcolm restait à Edimbourg pour garder la maison.
Mac Tavish installa Sir John dans un petit rouf à l’avant de l’embarcation et donna l’ordre à ses deux matelots, aussi vieux que lui, de mettre la voile. Rapidement, le cotre se dégagea du trafic portuaire et mit cap au nord-est. C’était une belle journée de printemps. Des nuées de mouettes volaient haut dans le ciel dégagé. La brise de sud-ouest avait très légèrement fraîchi et soulevait de courtes vagues dans l’immense estuaire.
Tenté, Hazembat regardait Mac Tavish manier le timon de la barre franche de manière à maintenir l’embarcation grand largue.
— Vous me permettez de tenir la barre ? finit-il par demander.
Mac Tavish haussa ses sourcils en broussailles devant tant d’audace.
— And what d’ye ken aboot steering ? Gouverner une embarcation n’est pas un jeu d’enfant.
— J’étais timonier dans la marine française.
— Faire tourner une roue en fantaisie est plus facile que de s’accrocher à un timon !
— Laissez-le faire ! cria Sir John du rouf. Il doit être notre skipper sur la Jenny. J’aime autant voir comment il s’en tire !
Au premier abord, Hazembat fut un peu désorienté. La dernière fois qu’il avait tenu une barre franche, c’était cinq ans plus tôt, quand il était patron de la chaloupe de la Bayonnaise. La barre du cotre était dure et il sentit tout de suite que, sans le tapecul, l’embarcation avait tendance à venir sous le vent. Tâtonnant un peu, il corrigea le cap et Mac Tavish fit un signe approbatif de la tête.
Hazembat avait maintenant le bateau bien en main. Il se détendit, tout au plaisir de la navigation. Il regarda la houache qui s’étendait derrière lui, bien droite et blanche sur l’eau grise, et estima la vitesse à cinq nœuds. Le léger clapotis soulevé par le vent faisait tanguer le cotre par l’avant juste assez pour que la sensation fût agréable. Il sourit en voyant Mrs Kerr qui vomissait pardessus bord.
Au bout d’un peu plus d’une heure et demie, la côte qu’ils avaient laissée à trois milles par tribord se rapprocha, bordée de hautes falaises.
— Par bâbord trois points ! commanda Mac Tavish en serrant l’écoute.
Hazembat obéit et la course s’infléchit est-nord-est, bordant maintenant la côte à un peu plus d’un mille.
Une heure s’écoula encore, puis Mac Tavish tendit le doigt, montrant un point à l’horizon.
— Voilà le Rock !
On ne voyait encore qu’une petite tache noire se détachant à peine des falaises. Hazembat mit le cap dessus. Très lentement, à mesure qu’on se rapprochait, l’île prit forme. A un mille, elle se présentait comme une sorte de piton rocheux de trois cents ou trois cent cinquante toises de diamètre et trois cents pieds de hauteur. Les approches avaient l’air difficiles et l’on voyait les lames briser haut le long des parois abruptes. Jusqu’au dernier moment, Hazembat se demanda comment on pouvait aborder. Puis il finit par distinguer, au sud-ouest de l’île, une légère dépression entre les falaises. Le sol semblait former une sorte de plateau incliné dans cette direction et Hazembat vit que ce qu’il avait pris pour des blocs de rochers sur la pente verte était ce qui restait des soubassements d’une construction qui devait avoir été de bonne taille. La dépression s’ouvrait entre deux falaises sur une plage de galets.
— Ici, il faut connaître, dit Mac Tavish en reprenant la barre. Regarde, tu en auras besoin.
Au lieu de piquer droit sur la crique, il la dépassa à trois encablures, se laissant porter par le courant, puis, changeant de bord, il mit le cap nord-nord-ouest.
— Il faut l’aborder contre le vent, dit-il, sans quoi tu risques d’être drossé contre les rochers qui sont à l’est.
En passant devant la crique, Hazembat avait découvert qu’elle était plus large qu’il ne pensait. Deux hommes étaient en train de mettre à l’eau une petite barque de pêche et, sur la gauche, Hazembat vit quelque chose qui lui fit battre le cœur.
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