Le prix de l'hérésie
l’immense
plaisir de voir s’effacer son air sarcastique. Mais je me ressaisis aussitôt,
il eût été trop dangereux de me laisser aveugler par les préjugés.
Au pied de l’escalier, un homme petit et râblé, la tête
enfoncée dans les épaules, bloquait l’accès à la cour. En entendant du bruit
derrière lui, il sursauta et porta la main à sa ceinture. Je ne pus m’empêcher
de sourire en voyant qu’il avait pris avec lui, comme arme, une sorte de grande
fourchette de cuisine. Ainsi donc, c’était lui qui gardait l’entrée de la tour.
« Ça va, Dick », dit Slythurst, une main en l’air.
L’homme baissa la tête avec déférence et s’écarta pour nous
laisser avancer sous la pluie qui continuait de tomber à pleins seaux et
s’écoulait en flots bouillonnants entre les pavés. Je remontai le col de mon
pourpoint et m’apprêtai à recevoir le déluge quand trois étudiants émergèrent
en riant de l’escalier adjacent, leurs sacoches en cuir au-dessus de la tête
pour se protéger. Je reconnus parmi eux Lawrence Weston, le garçon qui m’avait
escorté à la disputation le samedi, et j’allai à sa rencontre.
« Maître Weston, l’interpellai-je, je me demandais si
je pourrais requérir votre assistance. »
Il eut l’air surpris et je m’aperçus que, dans ma hâte, je
l’avais agrippé par la manche de façon peu habituelle.
« Dans la mesure de mes moyens, docteur Bruno,
répondit-il, mal à l’aise à cause de la façon abrupte dont je l’abordais. Mais
ne restons pas sous la pluie. »
Il me ramena vers l’escalier que je venais de quitter. Je
vis Slythurst nous épier avec méfiance. Mes yeux croisèrent les siens et il
rabattit sa capuche en partant en direction des appartements du recteur.
« Il y a un garçon, un camarade à vous, qui a apporté
un message au docteur Coverdale pendant la disputation, samedi soir,
expliquai-je à Weston. Le docteur Coverdale est parti immédiatement après
l’avoir lu. Savez-vous qui était ce garçon ?
— Comment le saurais-je, messire ? »
Il avait répondu plus sèchement qu’il n’en avait eu
l’intention, aussi changea-t-il de ton pour poursuivre.
« Je veux dire, je peux me renseigner si c’est
important.
— Merci, dis-je en le quittant. Je vous donnerai un
shilling si vous le trouvez. »
Weston fit des yeux ronds et me salua d’un signe de tête
avant de rejoindre ses amis. Rentrant la tête dans les épaules, je partis à
grandes foulées à travers la cour.
CHAPITRE 12
La chambre de Gabriel Norris se trouvait au rez-de-chaussée
du bâtiment ouest, coincée derrière l’escalier, et un panonceau portant son nom
était cloué à la porte. Après avoir frappé, et alors que j’étais certain
d’avoir entendu du bruit à l’intérieur, un moment s’écoula sans que rien se
passe. Je frappai de nouveau et appelai Norris par son nom. Des bruits de pas
traînants se firent entendre et la porte s’ouvrit. C’était Thomas Allen. Il
devait être au beau milieu de ses corvées domestiques, car il avait un chiffon
sale à la main.
« Oh ! Docteur Bruno ! » s’exclama-t-il.
Son visage s’empourpra aussitôt et il fit une boule du
torchon, l’air contrit.
« Désolé de vous déranger, Thomas. Je vois que vous
travaillez. Je cherchais maître Norris.
— Il n’est pas là », répondit Thomas, troublé.
Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, comme pour
vérifier ce qu’il venait d’affirmer. Par la porte entrouverte, j’aperçus une
chambre confortable meublée à la manière d’un petit salon, avec un fauteuil à
haut dossier installé face à la cheminée. Comparée à l’austérité de la plupart
des autres chambres, celle-ci dégageait un parfum de luxe. Grâce aux fenêtres
qui donnaient d’un côté sur la rue, de l’autre sur la cour, la pièce était
baignée d’une douce lumière, même en cette journée sombre. Sous les fenêtres
côté rue se trouvait un grand coffre fermé par un cadenas.
« Il assiste à un cours, je pense. Je brossais ses
bottes.
— Vous ne suivez pas les cours ?
— Pas quand j’ai du travail », répondit-il avec
mauvaise humeur.
J’étais surpris par ses manières, mais, sachant à quel point
il était susceptible à propos de son rôle de domestique, je supposai qu’il
n’aimait pas être vu accomplissant des tâches subalternes.
« Il fallait brosser ses bottes de toute urgence,
aujourd’hui ? »
Weitere Kostenlose Bücher