Le prix de l'hérésie
droite. De nouveau, le bruit
d’éclaboussure et de succion, comme celui que produisaient mes bottes dans les
ornières creusées par la pluie, et de nouveau je pivotai mais cette fois en brandissant
le couteau devant moi et avec un « Qui va là ? » tout juste
audible. Cette fois, j’étais sûr d’avoir détecté quelque chose dans les
profondes ténèbres. Un déplacement d’air, la brume glaciale se refermant sur
l’homme au fil de ses déplacements. Je ne doutais plus qu’on me suivait, mais
quelques mètres devant moi la silhouette massive et rassurante de l’église St
Michael se découpait contre les remparts, juste devant les lumières de la tour
de guet qui surplombait la porte. Je pris une profonde inspiration et,
rengainant le couteau, m’emparai des quelques pièces que j’avais mises de côté
pour soudoyer les gardes sans avoir à leur montrer ma bourse.
Deux jeunes hommes portant des piques et dégageant une forte
odeur de bière s’avancèrent sans conviction à mon arrivée.
« Halte, qui va là ? » s’enquit le plus grand
des deux avec l’air de s’en moquer.
Il mordit ostensiblement dans la pièce que je lui donnai
pendant que je regardais par-dessus mon épaule en guettant un signe de mon poursuivant,
mais je ne voyais rien au-delà de la lumière des torches. La pièce jugée
authentique, les gardes me laissèrent franchir la porte et je me retrouvai
seul, hors de la ville.
La cour de la taverne était plongée dans une obscurité et un
silence menaçants. Il n’y avait pas d’éclairage aux fenêtres. Sur ma droite,
tout près, s’éleva soudain le hennissement d’un cheval. Je levai ma lanterne
pour chercher mon chemin.
« Éteignez ça, espèce d’idiot ! Vous voulez que
les gardes nous tombent dessus ? » me chuchota un homme à l’oreille.
Mon cœur s’emballa et je faillis la laisser choir, mais je
réussis à me reprendre et à souffler la bougie. L’homme qui avait parlé me
dépassa et traversa la cour sans hésitation, sa cape bruissant autour de lui.
Un croissant de lune se montra entre les nuages et je vis d’autres ombres
prendre vie, apparitions furtives glissant en silence vers l’arrière de la
taverne. L’espace d’un instant, la scène me rappela les matines à San Domenico,
ces silhouettes à capuche ne ressemblant à rien tant qu’aux moines parmi
lesquels j’avais passé ma jeunesse. Je les suivis dans l’obscurité et arrivai
face à une petite porte, qui se ferma devant moi. Je distinguais tout juste la
forme d’une grille à hauteur de visage. Me penchant, je murmurai : « Ora
pro nobis. » Le silence dura quelques secondes, puis la porte
s’entrouvrit et de l’intérieur une main me fit signe d’entrer.
Je me faufilai par l’embrasure dans un couloir étroit qui, à
en juger d’après l’odeur, longeait la cuisine. À sa démarche et à sa taille, je
reconnus le jeune garçon devant moi : Humphrey Pritchard, le commis. Mais
j’ignorais si lui m’avait remis. Il m’indiqua du menton le couloir qui se
terminait par un escalier branlant montant à l’étage après un virage à angle
droit. Une chandelle de suif brûlait à mi-hauteur en dégageant une odeur âcre.
J’entendis qu’on montait l’escalier derrière moi et je pressai le pas.
J’arrivai alors sur un palier bas de plafond aux poutres apparentes, où les
fenêtres étaient camouflées par des voiles noirs empêchant la lumière de
filtrer à l’extérieur. Ne sachant trop par où aller, je suivis le couloir qui
se présentait. Tout au bout, j’avisai une porte entrebâillée. Je la poussai
timidement et me retrouvai dans une petite pièce remplie d’hommes dont les
visages étaient dissimulés sous des capuches. La tête inclinée, ils
attendaient, debout face à un autel sommaire ; trois cierges sur un
candélabre brûlaient devant un Christ en croix.
Depuis les profondeurs anonymes de nos capuches, mes voisins
et moi nous échangeâmes quelques regards furtifs mais, à cause des ombres
dansantes, je ne voyais que des masques aux traits étirés, aux yeux en forme de
trous noirs. Soudain, de l’autre côté de la pièce, un homme de grande taille se
tourna vers moi et, les bougies l’éclairant de face au même moment, je reconnus
avec stupeur maître Richard Godwyn, le bibliothécaire de Lincoln College. Avant
qu’il ne baisse les yeux, joignant les mains devant lui en une attitude pieuse,
je lus sur son visage de la surprise et de la
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