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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
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sur moi. La jeune femme recula sa chaise,
accommodante, et rejeta une mèche de cheveux par-dessus son épaule tout en
poursuivant sa conversation avec Florio, dont la fougue était irrésistible. À
en croire la phrase que je parvins à saisir au vol, il l’abreuvait d’aphorismes
rimés. Je dus me forcer à reporter mon attention sur Bernard.
    « On n’a jamais trouvé le livre que Cecco mentionne,
répondis-je en élevant la voix pour que le vieil homme m’entende clairement. Il
me semblait dommage de laisser perdre un bon titre, je l’ai donc emprunté. Mais
mon ouvrage est un traité sur l’art de la mémoire, fondé sur le système des
Grecs. Pas de nécromancie. »
    Je ris, peut-être un peu trop fort. Roger Mercer
m’examinait, pensif.
    « Et pourtant, docteur Bruno, votre système s’appuie
sur des images qui semblent correspondre précisément aux figures talismaniques
décrites par Agrippa dans son De la philosophie occulte, figures dont il
prétend qu’elles seraient invoquées lors des rituels de magie céleste pour
attirer les puissances des anges et des démons.
    — Ces images correspondent aussi aux signes du zodiaque
et aux maisons de la lune, familiers de bien des systèmes de ce genre,
expliquai-je en espérant ne pas trahir mon malaise. Elles sont populaires en
raison de leurs divisions numériques régulières, ce qui facilite le travail de
mémoire, mais au bout du compte ce sont simplement des images.
    — Rien n’est simplement une image pour un
magicien, rétorqua Bernard. Il n’y a que des signes renvoyant à des réalités
cachées, ainsi que l’implique votre titre. En particulier quand ces images
proviennent de l’ancienne astrologie des Égyptiens, comme le savait bien
Agrippa, car il citait son maître Hermès Trismégiste, condamné par saint
Augustin pour avoir invoqué des démons ! »
    Sa voix s’était élevée avec exaltation. Une main glaciale me
saisit l’échine. J’essayais de rassembler mes pensées pour répondre lorsque
Sophia Underhill rapprocha sa chaise de la table, me regarda droit dans les
yeux et demanda, en coupant Florio au beau milieu d’une phrase :
« Qui est Hermès Trismégiste ? »
    Le silence retomba sur la tablée. Tous les yeux se
tournèrent vers moi.
    « J’ai lu de vagues références à son nom dans des
travaux de philosophie, continua-t-elle avec une ingénuité à peine croyable,
mais je n’arrive pas à trouver un seul de ses livres ici et je n’ai pas la
permission d’entrer dans les autres bibliothèques de l’université.
    — Il n’y a pas de raison, puisque tu n’es pas une
élève, la morigéna son père en balayant l’assemblée du regard, embarrassé par
son audace. Je te permets de perfectionner ton esprit tant que tu cantonnes tes
études à ce que la compréhension d’une femme peut supporter. »
    Je sentis qu’il disait cela uniquement pour la galerie.
Sophia semblait prête à lui tenir tête, mais elle ravala sa colère et afficha
un air morose. Sa mère lui intima l’ordre de se calmer.
    « Vous ne trouverez pas les œuvres d’Hermès le Trois
fois grand à Oxford aujourd’hui, reprit Bernard d’une voix sonore. Avant, nous
les avions. Avant la mise au pas des bibliothèques en 1569. Traduites du grec
par le Florentin Ficin il y a un siècle, à la requête de Cosme de Médicis alors
à l’agonie. Vous connaissez la version de Ficin, docteur Bruno ?
    — J’ai lu la traduction de Ficin, répondis-je. Et j’ai
aussi lu les manuscrits grecs originaux, mais la collection est incomplète. Le
quinzième livre est perdu. Lisez-vous le grec, docteur Bernard ? »
    Il me fixa encore une fois de son regard brillant et
accusateur.
    « Oui, je lis le grec, jeune homme, nous ne sommes pas
tous des barbares au nord du Tibre. Mais ce livre manquant est un mythe. Il n’a
jamais existé. J’ai également lu Ficin quand j’étais jeune, ainsi qu’Agrippa.
Il n’y avait pas une telle peur des anciens écrits, alors. Mais tant de livres
sont perdus désormais, emportés par les vagues de la Réforme. Des siècles de
connaissance sont réduits en cendres… »
    Sa voix s’éteignit, il semblait avoir voyagé jusqu’au tréfonds
de sa mémoire.
    « Docteur Bernard, l’avertit le recteur, vous savez
très bien que la commission royale de 1569 a été envoyée pour nous débarrasser
des livres hérétiques acquis à l’ancienne époque monastique. Ils risquaient
d’infecter les esprits de nos

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