Le prix de l'hérésie
beaucoup écrit sur les propriétés cachées des
plantes et des pierres et sur l’organisation du cosmos, répondis-je. Il s’en
trouve pour parler d’alchimie ou de magie naturelle, d’autres appellent cela
l’expérimentation scientifique.
— Quand la quête vise à s’approprier des pouvoirs
interdits, on appelle cela de la sorcellerie, affirma le recteur avec
austérité.
— Mais a-t-il découvert une magie qui fonctionne ?
insista-t-elle en ignorant son père.
— Que voulez-vous dire par là ? m’enquis-je.
— Était-il capable d’utiliser cette magie naturelle
pour influencer le monde, pour changer les pensées ou les actes des gens, par
exemple, et ses écrits expliquent-ils comment s’y prendre ? »
Ses yeux brûlants exprimaient son impatience et elle se
pencha encore un peu plus vers moi.
« Des recettes pour des sortilèges, vous voulez
dire ? lui demandai-je en riant. Rien de tel, non. La magie hermétique, si
vous voulez lui donner ce nom, ne vise qu’à enseigner à son adepte comment
pénétrer les arcanes de l’univers à la lumière de l’esprit. Il ne peut pas vous
apprendre comment faire en sorte que celui que vous chérissez tombe amoureux de
vous ou vous reste fidèle. Pour cela, vous feriez mieux de vous adresser à
l’ancienne du village. »
Cela provoqua des sourires de notre côté de la table, mais
la jeune femme s’empourpra violemment et j’eus l’intuition que ma plaisanterie
l’avait accidentellement touchée. Pour couvrir son embarras, je
poursuivis :
« Mais l’alchimiste allemand Henrich Cornélius Agrippa
von Nettesheim évoque des choses de ce genre dans son traité sur les sciences
occultes que le docteur Mercer a mentionné tout à l’heure. Il écrit qu’à la
manière des images célestes utilisées en magie nous pouvons créer nos propres
images adaptées à ce que l’on souhaite. Par exemple, que pour obtenir l’amour,
nous pouvons créer l’image de gens qui s’embrassent.
— Mais comment… »
Sophia n’eut pas le temps de terminer, le recteur toussa et
les domestiques entrèrent pour débarrasser le premier plat.
« Eh bien, c’était une discussion très éclairante,
docteur Bruno. Je savais que votre conversation et vos idées peu
conventionnelles animeraient la petite société de notre collège, dit le recteur
en posant sa main sur mon épaule avec un manque de sincérité criant. J’avais
dans l’idée que nous devrions changer de place à chaque plat, afin que vous
puissiez vous entretenir avec toutes les importantes personnalités du collège.
Même si j’adorerais continuer sur ce sujet », ajouta-t-il.
Il se leva alors de son siège et s’affaira, officiellement
pour réarranger le plan de table de manière que je me trouve à l’autre
extrémité, entouré par trois hommes avec lesquels je n’avais pas encore parlé.
Les domestiques apportèrent des plats fumants en argent d’où émanait une odeur
de bœuf et de légumes en ragoût. Sur ces entrefaites, la femme du recteur, qui
avait à peine prononcé un mot, saisit l’occasion et prétexta un mal de tête,
s’excusant à profusion d’être une si mauvaise hôtesse. Elle donnait
l’impression d’une femme mélancolique et maladive, mais je me souvins de ce que
le recteur m’avait dit à propos de son fils. J’avais déjà observé ces symptômes
chez des femmes ayant perdu un enfant, souvent plusieurs années après leur
décès, leur esprit lui-même semblant sous l’emprise de quelque maladie latente
dont il ne se remettait pas, et je me sentis profondément navré pour elle. Il
était difficile d’imaginer qu’une créature aussi désolée pût être la mère de la
vivante jeune femme à l’autre bout de la table.
La seconde moitié du repas eut beaucoup moins d’intérêt que
la première, maintenant que j’étais privé de la compagnie de Sophia. Mes
nouveaux compagnons de table se présentèrent. Face à moi était assis maître
Walter Slythurst, le trésorier du collège, un homme de mon âge, squelettique,
avec des lèvres minces, des petits yeux soupçonneux et de longs cheveux raides
qui tombaient comme un rideau autour de sa tête. À côté de lui se trouvait le
docteur James Coverdale, un homme replet d’environ quarante ans, aux mèches
noires graisseuses, avec une barbe taillée très court et un air satisfait de
lui-même, qui m’expliqua qu’il était le surveillant général en charge de
discipliner les
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