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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
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tâche, il serait mort plutôt
que d’y manquer.
    — Je suis vraiment navré, mademoiselle Underhill,
m’excusai-je. Je ne voulais pas…
    — Appelez-moi Sophia. Quand j’entends quelqu’un
m’appeler mademoiselle Underhill, j’ai l’impression qu’on s’adresse à quelqu’un
d’autre.
    — Votre mère n’a pas entendu le bruit ce matin ?
    — Je ne sais pas, elle est au lit, répondit-elle dans
un soupir. Elle est au lit presque tout le temps, c’est sa principale
occupation.
    — Je pense qu’une grande tristesse l’accable depuis la
mort de votre frère, dis-je doucement.
    — Nous sommes tous accablés, docteur Bruno,
répliqua-t-elle, la colère embellissant son visage. Mais si nous restions tous
cachés sous le couvre-lit à prétendre que le soleil ne se lève plus, la famille
s’écroulerait. Que savez-vous de la mort de mon frère, de toute façon ?
    — Votre père m’en a brièvement parlé hier soir. Cela a
dû être une épreuve insupportable.
    — Perdre un frère est insupportable, quelles que soient
les conditions, rétorqua-t-elle, un peu calmée. Mais j’étais plus libre que
d’autres tant qu’il vivait, car il me défendait. Il insistait toujours pour que
je sois son compagnon dans toutes ses entreprises, et traitée en égale. Sans
lui, je suis forcée de me comporter comme une dame et je dois avouer que cela
ne me convient pas du tout. »
    Elle éclata soudain de rire, ce qui me surprit et me
soulagea grandement, mais son rire s’éteignit tout aussi rapidement et elle
commença à arracher des brins d’herbe.
    « Je suppose que votre disputation d’aujourd’hui va
être reportée ?
    — En fait, non. Votre père est résolu à ne pas décevoir
son invité. Elle aura lieu comme prévu, à ce qu’il dit. »
    La colère l’embrasa de nouveau. Son tempérament était
apparemment aussi imprévisible que le temps sur le mont Vésuve. Elle se remit
debout et appliqua de petits coups secs sur sa robe, du plat de la main, pour
la brosser.
    « Bien entendu. Peu importe que quelqu’un soit mort de
façon épouvantable. Rien ne doit perturber la vie du collège. Nous devons tous
feindre que tout va bien. » Son regard lançait des éclairs. « Vous
savez, je n’ai jamais vu mon père verser de larmes lorsque mon frère est mort,
pas la moindre. Quand on lui a annoncé la nouvelle, il a seulement hoché la
tête, puis il a répondu qu’il allait dans son bureau et ne voulait pas être
dérangé. Il n’est pas sorti du reste de la journée, il a passé son temps à travailler. »
    Elle avait craché ce dernier mot.
    « J’ai entendu dire, avançai-je avec hésitation, que
les Anglais croient nécessaire de masquer leurs sentiments, peut-être parce
qu’ils les effraient. »
    Elle eut une moue de dédain.
    « Ma mère se cache dans ses draps, mon père dans son
cabinet d’étude. Grâce à eux, j’ai presque réussi à oublier qu’ils ont eu un
fils. Si encore ma présence inconvenante ne le leur rappelait pas…
    — Je suis sûr que ce n’est pas le cas… commençai-je,
mais elle se détourna et je perdis l’envie de défendre le recteur et sa femme.
Quel est ce travail auquel votre père consacre tout son temps ?
demandai-je pour briser le silence.
    — Il écrit un commentaire des Actes et monuments de John Foxe.
    — Le Livre des martyrs  ? »
    Quelqu’un au souper avait mentionné le fait que le recteur
prêchait sur ce sujet.
    « Y a-t-il besoin d’un commentaire ? Foxe est
lui-même assez prolixe, dans mon souvenir.
    — Mon père le pense, en tout cas. D’ailleurs, il pense
que ce commentaire est l’affaire la plus pressante de ce monde, hormis
peut-être ces incessantes réunions du conseil des professeurs, qui ne sont que
prétexte au commérage et à la médisance. »
    Tout en disant cela, elle arracha avec véhémence une poignée
de feuilles à une branche à portée de main, puis elle se tourna vers moi.
    « Ils sont censés être les personnes les plus
intelligentes d’Angleterre, docteur Bruno, mais je vous le dis, ils sont pires
que des lavandières si l’on s’en réfère au plaisir qu’ils prennent à calomnier.
    — Oh, j’ai connu suffisamment de docteurs d’université
pour le savoir », approuvai-je en souriant.
    Elle sembla sur le point d’ajouter quelque chose, mais un
bruit en provenance de la cour l’en empêcha. Deux hommes robustes en tablier de
cuisine approchaient.
    « Je ferais mieux d’y

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