Le prix de l'hérésie
m’incliner.
« Bien, je vais vous laisser à votre triste devoir,
maître Slythurst. »
Il me répondit d’un hochement de tête, mais au moment où
j’allais partir, il me rappela. « Docteur Bruno ! N’avez-vous pas
oublié quelque chose ? »
Je crus un instant qu’il parlait des clés, que j’aurais dû
lui rendre. Je le regardai sans comprendre et un sourire satisfait traversa son
visage.
« Les vêtements ? Pour habiller le corps ?
— Bien sûr. »
Je retournai en hâte jusqu’à l’armoire et pris une pleine
brassée de vêtements sans même les regarder, conscient que mon piteux mensonge
était désormais complètement percé à jour.
« Je suis certain que le recteur vous sera très
reconnaissant de votre aide », dit Slythurst en me tenant obligeamment la
porte.
Alors que je passais devant lui, il me souffla à
l’oreille : « Je vous ai à l’œil, Bruno. »
Je lui adressai mon plus charmant sourire et sortis sur le
palier. Une seconde plus tard, j’entendis la clé tourner doucement dans la
serrure.
En arrivant dans la cour, j’aperçus Gabriel Norris,
maintenant plus sobrement vêtu d’une robe noire qui, par contraste, soulignait
sa vitalité. Il se tenait à l’entrée de l’escalier du bâtiment ouest, de
l’autre côté de la tour, et semblait régaler un groupe d’étudiants du récit de
ses exploits. Il leva une main à plat à hauteur de sa poitrine, exagérant de
beaucoup la taille du chien, et je ne pus réprimer un sourire devant ses
fanfaronnades. M’apercevant, il s’arrêta au milieu de sa phrase et scruta d’un
air soupçonneux le paquet de vêtements dans mes bras et l’escalier d’où je
venais d’émerger.
« Que se passe-t-il, docteur Bruno, le pillage a-t-il
commencé ? me lança-t-il un peu trop jovialement.
— J’aide le recteur, répétai-je, cette défense ne
pouvant apparemment être contredite.
— Oh. »
Laissant là ses amis, il s’approcha nonchalamment de moi. Il
paraissait plus vieux que les garçons qui attendaient maintenant son retour. Je
lui aurais donné au moins vingt-cinq ans.
« Nous avons eu une expérience plutôt grisante ce
matin, n’est-ce pas ?
— Je ne suis pas sûr que j’emploierais ce mot.
— Non, non, bien entendu, concéda-t-il en prenant un
air plus solennel. Je voulais seulement dire par là qu’il ne se passe
pratiquement rien à Oxford d’habitude, et voilà que nous avons un cortège royal
et une tragédie en même temps. Nous ne savons plus où donner de la tête.
— Vous avez fait preuve d’aplomb ce matin. Je ne crois
pas que j’aurais eu la main aussi ferme dans le feu de l’action. Heureusement
que vous êtes un bon tireur. »
Norris inclina la tête pour me remercier du compliment.
« C’est mon père qui m’a appris à chasser lorsque
j’étais enfant. Mais j’aurais préféré arriver plus vite et sauver le docteur
Mercer. »
Il s’essuya le front du revers de la main. Malgré son air
bravache, je me doutais qu’il avait dû être profondément ébranlé par ce qu’il
avait vécu.
« Le connaissiez-vous bien ?
— Il était mon tuteur depuis le départ du docteur Allen
l’année dernière. »
Une drôle d’expression traversa son visage, comme s’il
luttait pour maîtriser son émotion.
« Nous étions proches, si l’on veut. En tout cas,
j’avais du respect pour lui.
— C’est un chien de chasse qui l’a tué, n’est-ce
pas ?
— Un lévrier irlandais. Ce sont d’excellents chasseurs,
ils vont directement à l’essentiel et brisent le cou de leur proie,
m’expliqua-t-il, ravi d’étaler ses connaissances, avant de se rembrunir. Mais
d’habitude, ce sont des chiens très doux, qui ne posent pas de problème à leur
maître. Ils n’ont pas un comportement aussi imprévisible que, mettons, un dogue
allemand. Ils attaquent rarement, à moins d’avoir été dressés à cela.
— Il mourait de faim. Vous n’avez pas remarqué à quel
point il était décharné ? »
Il acquiesça.
« Ce devait être un chien errant. Dans son état,
j’imagine qu’il aurait attaqué la première créature sur laquelle il serait
tombé.
— N’y a-t-il rien d’inhabituel à ce qu’un lévrier sans
maître erre de par les rues d’Oxford, la nuit ? »
Il me regarda avec curiosité, ma question devait lui sembler
bizarre, mais il haussa les épaules.
« On pratique la chasse dans la forêt royale de
Shotover, à l’est de
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