Le prix de l'hérésie
montrer. »
Le vieil homme se mit debout. Sa respiration sifflait tellement
que c’en était alarmant. Il se traîna vers un petit placard en bois fixé au mur
derrière son comptoir. Il ouvrit fièrement les deux panneaux pour me montrer
les rangées de clés en fer toutes de même forme et de même taille qui pendaient
à des crochets, portant chacune une étiquette où était inscrite une combinaison
de chiffres et de lettres.
« Comment faites-vous pour savoir laquelle correspond à
quoi ? demandai-je innocemment.
— Aaah… fit Cobbett en tapotant du bout du doigt son nez
couperosé, j’ai inventé un système pour empêcher qu’elles tombent entre de
mauvaises mains, vous voyez ? Si j’me contentais de mettre “salle forte”,
“bibliothèque”, et ainsi de suite, c’serait trop facile pour les jeunes gens de
s’faufiler et de se servir pendant que j’dors ou que j’me soulage ou Dieu sait
quoi. Alors j’ai inventé un code, y a des années de ça. Quand quelqu’un perd sa
clé, il vient m’voir et je lui trouve le double, mais ils peuvent pas les voler
pour entrer là où ils ont pas le droit et jouer des mauvais tours.
— Donc vous avez un jeu de clés complet de toutes les
portes et grilles du collège.
— Pour sûr, messire, sauf quand il s’en perd. Les
seules que j’ai pas sont pour s’rendre à la salle forte. Il faut passer par la
chambre du sous-recteur et par l’escalier intérieur de la tour, comme j’vous
l’ai dit. Le trésorier et le recteur sont les seuls à avoir la clé. Comme ça,
personne peut entrer dans la salle forte sans qu’au moins un autre soit
présent, précisa-t-il.
— Et vous êtes le seul à avoir les clés des autres
chambres ?
— Non, messire, le recteur a aussi un jeu complet dans
ses appartements, mais il les confie à personne. Les étudiants et les
professeurs doivent venir me voir, et personne d’autre. »
Il retourna à sa chaise et me regarda avec curiosité.
« Et le trésorier, lui aussi a la clé de la chambre du
sous-recteur ?
— Le trésorier ? Non, messire. Il a la clé de la
salle forte, mais le sous-recteur doit être là pour qu’il puisse entrer. C’est
censé empêcher les vols, vous comprenez.
— Et si le sous-recteur était absent et que le
trésorier ait besoin d’y accéder ?
— Eh ben, faut qu’il vienne me voir ou qu’il demande au
recteur de le laisser monter. Pourquoi qu’vous vous intéressez autant aux
clés ?
— Oh… Je me demandais seulement comment un chien errant
avait pu entrer dans le jardin », répondis-je.
Cependant, après ces explications, je me demandais aussi
comment Slythurst avait pu entrer dans la chambre de Roger Mercer. Avait-il
réussi à voler le double dans le placard de Cobbett ? Et dans ce cas,
comment celui qui avait mis à sac la pièce était-il entré ? Qui avait une
troisième clé, à part le recteur ?
« Ah. » Le vieux gardien se gratta le menton.
« Eh ben, je pense que c’est sans doute de ma faute, messire. Y s’fait que
j’ai mal vérifié le portail de Brasenose Lane hier soir.
— J’ai du mal à le croire. Tout le monde me dit que
vous servez le collège depuis toujours et que vous n’avez jamais négligé votre
devoir. »
Une lueur de reconnaissance éclaira les yeux du gardien. Il
se pencha vers moi et je l’imitai. Son haleine empestait la bière éventée.
« J’vous remercie, messire. C’est c’que j’ai dit au
recteur, j’y ai dit, messire, vous savez que j’vais faire c’que vous me
demandez, mais j’espère que personne croira que c’vieux Cobbett a laissé la
moindre issue ouverte pendant sa ronde. Les gens d’ici savent que je fais bien
mon travail, messire. »
Il poussa un gros soupir qui sembla dégonfler sa carcasse et
termina en proie à une quinte de toux.
« Eh bien, j’espère que vous ne serez pas puni alors
que ce n’est en rien votre faute, dis-je.
— Merci, messire, vous êtes bien aimable.
— Dites-moi, poursuivis-je en m’apprêtant à partir, si
un homme voulait aller en ville et revenir après que vous avez bouclé le
collège, serait-ce possible ? »
Sur le visage du gardien s’épanouit un grand sourire.
« Tout est possible, messire. Vous avez p’t-être
entendu qu’il m’arrive de m’montrer conciliant avec les élèves pour c’qu’est
des grilles. Mais vous aurez pas besoin qu’on s’arrange, les professeurs et les
invités ont la clé de l’entrée
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