Le prix de l'hérésie
scène de ce terrible malheur. Les vêtements du docteur Mercer
étaient totalement déchirés, je suis venu chercher de quoi les remplacer pour
son dernier repos. »
Je pris un air pieux. Jamais je n’avais prononcé de mensonge
moins convaincant. À sa place, je n’y aurais pas cru un seul instant.
Slythurst fronça les sourcils d’un air mauvais.
« Je vois. Et vous avez eu du mal à
trouver ? »
Il fit un geste de la main pour désigner la dévastation qui
avait eu lieu dans la pièce. Le ton qu’il avait adopté aurait flétri des fleurs
en bourgeon. Je lui rendis son regard arrogant sans me départir de mon
assurance.
« La pièce était dans cet état lorsque je suis arrivé.
— Pourquoi avoir fermé la porte à clé, dans ce
cas ?
— La force de l’habitude, répondis-je avec un rire
embarrassé. C’est idiot, je sais, mais en Italie j’ai vécu de nombreuses années
en craignant pour ma vie. Dans les endroits où j’habitais, il était impensable
de laisser une porte ouverte derrière soi. Encore aujourd’hui, c’est quelque
chose que je fais par pur instinct, je ne le remarque même pas. »
Il parut réfléchir à la vraisemblance de ce que je racontais
puis il croisa les bras, comme pour souligner sa méfiance à mon égard.
« Quand avez-vous eu les clés ?
— C’est le trousseau que le docteur Mercer avait sur
lui. Après l’arrivée du coroner, je suis venu ici pour me rendre utile.
— Hmmm. »
Slythurst avança et contempla d’un air peu convaincu les
papiers éparpillés sur le bureau.
« Je dois dresser un inventaire des effets personnels à
retourner à la famille », dit-il sans croiser mon regard.
Il mentait, c’était évident. Sa position au collège le
dispensait de m’expliquer ce qu’il faisait, sa justification avait donc toutes
les raisons d’éveiller mes soupçons. Je me relevai en prenant garde à ce que le
livre ne glisse pas de sous ma chemise. Il me fit face, bras toujours croisés,
et nous nous jaugeâmes un instant : chacun savait que l’autre ne disait
pas tout, mais aucun de nous ne désirait provoquer d’affrontement direct. Je me
demandai subrepticement s’il était possible que nous recherchions tous les deux
la même chose, avant de me souvenir que je ne savais pas ce que je cherchais, à
part un indice qui pût expliquer la présence de Mercer dans le jardin. En
revanche, Slythurst était-il là pour des raisons semblables à celle de l’homme,
quel qu’il fût, qui avait fouillé la chambre ? Je scrutai avec dégoût son
visage pâle, presque glabre, pendant qu’il me dévisageait avec un égal mépris.
Était-il venu fouiller une première fois et, dérangé dans ses recherches,
venait-il reprendre là où il s’était arrêté ? J’en doutais. J’avais vu
l’expression de son visage quand il avait ouvert la porte, et j’étais certain
que la scène l’avait étonné. Ils étaient donc plusieurs à être persuadés que la
chambre du mort recelait quelque chose qu’ils voulaient.
Slythurst baissa les yeux sur le coffre à mes pieds et brisa
finalement le silence.
« Qu’est-ce que c’est ?
— Je pense qu’il servait au docteur Mercer à cacher son
argent.
— Et que faisiez-vous, au juste ? s’enquit-il
sèchement.
— Il était dans l’armoire. J’ai cru qu’il contenait
peut-être des vêtements, je l’ai sorti pour vérifier. »
Une fois encore, il posa sur moi le même regard suspicieux
que celui qu’on adresse à un gamin des rues qui s’apprête à voler du pain.
« Vous êtes couvert de sang, docteur Bruno,
observa-t-il en reportant ses yeux sur la table de travail.
— Oui, j’ai tenté de venir en aide à un homme qui se
vidait de son sang.
— Vous ne pouvez vous empêcher d’offrir votre aide,
n’est-ce pas ? »
Il alla jusqu’au seuil de la petite chambre et tourna la
tête dans ma direction.
« Avez-vous monté l’escalier ? demanda-t-il avec
un geste du menton vers la porte au fond.
— C’est fermé à clé.
— Vraiment ? Curieux. »
Il traversa la chambre et essaya lui-même d’ouvrir, prouvant
par là qu’il ne se fierait pas à ma parole. Un silence lourd s’installa. Je
savais qu’il attendait que je parte, mais je rechignais à quitter les lieux car
j’ignorais si ce qu’ils cherchaient tous y était encore. Pour autant, je ne
pouvais davantage prolonger ma présence sans raison valable, si bien que je
finis par
Weitere Kostenlose Bücher