Le prix de l'hérésie
principale.
— Vraiment ? Les professeurs peuvent donc aller et
venir comme bon leur semble ?
— C’est pas qu’on les encourage, répondit prudemment
Cobbett, mais oui, ils peuvent. Cela dit, ils sont pas nombreux à le faire. Ils
sont tous trop sérieux pour badiner en ville. C’est les étudiants qui veulent
sortir et qu’on empêche. Mais j’ai été jeune et je dis qu’ça fait plus de mal
que de bien de priver les jeunes gens de plaisirs. Trop de travail, ça
abrutit. »
Je le saluai et jetai un coup d’œil par la fenêtre. Deux
étudiants en robe noire passaient en serrant des sacoches en cuir contre leur
poitrine.
« D’ici, vous voyez tous ceux qui entrent et qui
sortent la nuit, n’est-ce pas ?
— Tant que j’suis éveillé », répondit Cobbett en
éclatant d’un rire rauque qui donna bientôt lieu à de nouvelles expectorations
souffreteuses.
Ma curiosité n’était pas complètement assouvie, mais je
sentais que mes questions commençaient à éveiller ses soupçons et je décidai
donc de le laisser.
« Merci pour votre aide, Cobbett. Je dois m’en aller.
— Docteur Bruno ! me lança-t-il alors que
j’ouvrais la porte. S’il vous plaît, n’répétez pas ce que j’vous ai dit à
propos du jardin. Même si ça m’gêne, j’dois suivre les instructions du recteur
et faire comme si j’étais à blâmer. »
Je lui assurai que je ne parlerais de notre conversation à
personne. Son visage exprima un vif soulagement.
« J’serais ravi de vous en dire plus sur le système des
clés si ça vous intéresse » , ajouta-t-il en faisant tourner les
clés de Mercer entre ses gros doigts.
Puis il plongea la main sous la table et s’empara d’un
pichet en porcelaine, qu’il agita dans ma direction avec un regard lourd de
sens.
« Mais toute cette parlote donne soif. La conversation
coule mieux quand on a pas la gorge sèche, si vous voyez c’que je veux
dire. »
Je souris.
« Je verrai quel rafraîchissement je peux nous procurer
pour notre prochaine discussion, Cobbett. Je l’attends avec impatience.
— Et moi donc, docteur Bruno, et moi donc. Laissez la
porte ouverte, vous serez aimable. »
D’une main, il flatta la chienne entre ses deux oreilles et
je l’entendis rire tout seul tandis que je quittais la loge, plus déconcerté
que jamais.
De retour dans ma chambre, je me débarrassai avec bonheur de
ma chemise et de mon haut-de-chausses, sur lesquels le sang de Mercer avait
séché. Je pus également sortir l’almanach, dont les coins me creusaient
désagréablement l’estomac. Avec mes braies pour tout vêtement, sans prêter
attention au froid, je pris la boîte d’amadou posée sur le manteau de la
cheminée et allumai une des grandes bougies de suif dont on avait garni la
chambre. La pièce s’emplit bientôt d’une odeur âcre tandis que je prenais
l’almanach de Mercer et l’ouvrais, en commençant par la fin cette fois. Il y
avait plusieurs pages vierges pliées sous la reliure. L’une d’entre elles était
étrangement raide et gondolée, on eût dit qu’elle avait été trempée puis
séchée. Je la mis contre mon nez pour la renifler. L’odeur d’orange était plus
entêtante. Avec précaution, pour ne pas la brûler, j’approchai la page de la
bougie et vis peu à peu une série d’inscriptions apparaître à la lumière. En la
chauffant contre la flamme, elle révéla progressivement le secret qui y était
écrit : une séquence de lettres et de symboles sans lien apparent entre
eux. Au-dessous se trouvait une succession plus courte des mêmes symboles, mais
dans un ordre différent : groupés en deux lots de trois, puis une série de
cinq. À l’évidence, il s’agissait d’une sorte de code, même si mes connaissances
en la matière étaient quasi nulles et que je n’avais aucune idée de la façon
dont il fallait s’y prendre pour le déchiffrer. Je me demandai si Sidney
saurait comment faire, étant donné qu’il avait davantage que moi eu affaire à
ce genre de problème, et je pris donc une plume et un papier pour recopier les
symboles à l’identique en me disant que je lui confierais ce travail. Mais
après avoir recopié les trois premières lignes, je m’aperçus que les symboles
formaient une séquence de vingt-quatre signes, et que cette séquence était
répétée trois fois.
Je réfléchis un instant. Il y avait vingt-quatre lettres
dans l’alphabet anglais, mais je doutais qu’un code pût
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