Le prix de l'indépendance
nouveau, contemplant la colline surmontée du broch 5 qui avait donné son nom au domaine. Le cimetière se trouvait non loin, la plupart de ses stèles tellement usées par les intempéries que les noms et les dates étaient indéchiffrables, les tombes elles-mêmes à demi englouties par les ajoncs et les genêts. Là-bas, parmi les taches grises, vert sombre et jaune vif, deux petits points rouges et bleus se déplaçaient.
Le sentier était envahi par les mauvaises herbes et les ronces qui griffaient ses jeans. Elle découvrit ses enfants à quatre pattes, suivant une colonne de fourmis, celles-ci suivant une piste de miettes de biscuit soigneusement placées le long d’un parcours d’obstacles formés de cailloux et de brindilles.
Concentré sur le spectacle, Jem lui jeta à peine un coup d’œil.
— Regarde, maman !
Il lui indiquait le sol où il avait enfoncé une vieille tasse à thé et l’avait remplie d’eau. Un groupe de fourmis leurrées par les miettes s’y débattaient.
— Jem ! C’est cruel ! On ne tue pas les insectes.
Se souvenant d’une récente infestation dans le garde-manger, elle ajouta :
— Sauf quand ils entrent dans la maison.
— Mais, maman, elles ne sont pas en train de se noyer. Tu vois ce qu’elles font ?
Elle s’accroupit près de lui. Effectivement, les fourmis isolées qui tombaient dans l’eau se dirigeaient vers le centre de la tasse où leurs consœurs, s’accrochant les unes aux autres, formaient une masse flottante effleurant à peine la surface. Les fourmis de ce radeau improvisé bougeaient lentement de façon à changer de place constamment tandis qu’une ou deux d’entre elles, en périphérie, restaient immobiles. Ces dernières étaient peut-être mortes mais les autres ne couraient pas de danger immédiat, soutenues par le corps de leurs congénères. Le radeau se déplaçait progressivement vers le bord de la tasse,propulsé par les mouvements des individus qui le composaient.
— Incroyable ! s’émerveilla-t-elle.
Elle resta assise un moment près de son fils à regarder les fourmis jusqu’à ce que, faisant acte de clémence, ils décident qu’elles en avaient fait assez. Jem les repêcha sur une feuille et les déposa sur le sol où elles reprirent aussitôt leur travail.
— Tu penses qu’elles se regroupent ainsi consciemment ou qu’elles s’accrochent simplement à la première chose qui flotte ? demanda Brianna.
— Je ne sais pas. Faudra que je regarde dans mon livre sur les fourmis.
Elle ramassa les vestiges du pique-nique, laissant aux fourmis quelques biscuits bien mérités. Mandy s’était éloignée pendant que Brianna et Jem observaient les insectes. Elle était assise à l’ombre d’un gros buisson un peu plus haut sur la colline, engagée dans une conversation animée avec un compagnon invisible. Jem déclara :
— Mandy voulait parler avec grand-père. C’est pour ça qu’on est montés ici.
— Ah ? Et pourquoi ici plutôt qu’ailleurs ?
Jem lança un regard surpris vers les vieilles stèles inclinées du cimetière.
— Il n’est pas ici ?
Une décharge électrique remonta la colonne vertébrale de Brianna, beaucoup trop puissante pour être qualifiée de frisson. C’était autant le ton détaché de son fils que la possibilité qu’il ait raison qui la sidérait.
— Je… je ne sais pas. Si, peut-être.
Bien qu’elle s’efforçât généralement de ne pas penser au fait que ses parents étaient morts, elle avait toujours supposé qu’ils étaient enterrés quelque part en Caroline du Nord ou ailleurs dans les colonies si la guerre les avait éloignés de Fraser’s Ridge.
Elle se souvint soudain des lettres. Son père avait écrit qu’ils comptaient se rendre en Ecosse. Jamie Fraser étant un homme entêté, ils l’avaient probablement fait. Etait-il reparti ensuite en Amérique ? Et, dans le cas contraire, sa mère reposait-elle ici elle aussi ?
Elle se dirigea vers le haut de la colline, dépassa le vieux broch et s’avança entre les tombes. Elle y était déjà venue une fois avec sa tante Jenny. C’était en début de soirée ; une brise douce murmurait dans les herbes et le paysage baignait dans une atmosphère paisible. Jenny lui avait montré les sépultures de ses grands-parents, Brian et Ellen, reposant sous une même stèle. Oui, elle pouvait encore la distinguer enfouie sous la mousse, les noms rongés par le temps. L’enfant mort avec Ellen était enterré avec eux, son
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